La prochaine grande révolution technologique du XXIe siècle est sur le point de bouleverser nos habitudes. La voiture à essence est peut-être en train de vivre ses dernières années de toute-puissance. Le ministre de la transition écologique, Nicolas Hulot, a annoncé au début juillet la fin de la voiture à pétrole en France d'ici 2040. En fait, cette annonce n'est qu'une étape dans un processus qui s'est enclenché il y a de cela quelques années. Les prototypes de voiture électrique existent depuis plus de vingt ans, le traditionnel Salon de l'Auto de Genève ne cesse d'ailleurs d'annoncer d'édition en édition l'arrivée imminente sur le marché de modèles tout public. La majorité des constructeurs automobiles vendent déjà des véhicules électriques depuis longtemps, ils étaient néanmoins cantonnés à un marché de niche, haut de gamme, donc pas à la portée de tout le monde. Cette situation est en train de changer; toutes les semaines les géants du secteur annoncent des voitures sans pétrole en entrée de gamme. Cela sera certainement le grand changement de la décennie à venir. Et il ne s'agit pas d'une transition qui ne concerne que les pays riches, la Chine et l'Inde investissent massivement dans les technologies clefs et promettent des véhicules parfois en-dessous de 5'000.- $.
L'abandon programmé du pétrole est évidemment une chance pour l'environnement. Les voitures seront plus propres, moins polluantes. Moins bruyantes aussi. A l'échelle de la planète, cela fait une différence. Qu'on ne s'y trompe pas cependant, la production de ces véhicules et des indispensables batteries qui les alimenteront pose de nouveaux défis écologiques. Un seul exemple: le recyclage des batteries au lithium en fin de vie n'est pas encore résolu.
Cette transition technologique quasi certaine pourrait avoir un effet géopolitique non négligeable. Le Moyen-Orient aujourd'hui grand producteur de pétrole, ce qui lui assure un poids indéniable sur la scène internationale, pourrait voir son étoile pâlir. La dépendance des économies occidentales à l'or noir a longtemps permis à des régimes douteux de prospérer, dans une relative connivence imposée par des besoins en pétrole démesurés. On ne se fâche pas avec ses principaux fournisseurs. Les pays du Golfe n'ont pourtant pas trop de souci à se faire dans l'immédiat, la transition annoncée ne se fera pas partout à la même vitesse et de gros secteurs consommateurs de pétrole, le transport naval et aérien, ne sont pas encore en mesure de se passer de cette ressource. Un indice quand même de la crise latente pour ces pays: l'OPEP a ordonné dernièrement la diminution de la production pétrolière afin de provoquer une hausse du prix du baril. Cette mesure n'a pourtant pas permis d'inverser la tendance baissière des prix. Pour les émirats dépendants aux pétrodollars c'est une vaste raison d'inquiétude.
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Principales réserves mondiales de lithium |
La lente disparition du pétrole voit surgir une nouvelle ressource phare. Les voitures électriques doivent être équipées de batteries beaucoup plus volumineuses et performantes que celles de leurs ancêtres. Le lithium en est aujourd'hui l'élément indispensable. Les plus grandes réserves mondiales de ce métal sont situées en Amérique du Sud, au Chili (région d'Atacama) et en Bolivie (sous le salar d'Uyuni), d'autres gisements importants ont été trouvés dans la région du Tibet (cela explique-t-il partiellement l'intérêt de la Chine pour ce territoire?) et en Amérique du Nord. Les pays possédant cette précieuse ressource verront inévitablement leur poids sur la scène internationale croître au fur et à mesure que les véhicules électriques se démocratiseront. Evo Morales, le président bolivien, annonçait l'an dernier que son pays vivait d'ores et déjà la plus forte croissance économique de l'Amérique méridionale. Les gigantesques réserves de lithium sous le désert d'Uyuni sont actuellement encore préservées. Il faut dire que le site est absolument magnifique et qu'il attire de plus en plus de touristes appréciant ce grand espace blanc.
On le voit donc, les bouleversements technologiques sur le point de survenir pourraient avoir un impact majeur sur la géopolitique mondiale.
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Vue de l'incroyable désert de sel d'Uyuni en Bolivie, plus vaste que toute la Suisse romande... |
En plus des changements industriels et politiques, on pourrait également voir une profonde évolution des comportements sociaux. Parallèlement aux efforts des constructeurs automobiles, les géants californiens de l'informatique investissent massivement dans le développement de véhicules autonomes, c'est-à-dire sans chauffeur. Si Tesla a pu jouer le rôle de précurseur dans ce domaine, Google est très avancé sur le sujet et ses "Google cars" sillonnent déjà les routes de l'état du soleil depuis plusieurs années pour recueillir des données de navigation et améliorer leur logiciel de conduite. Après des mois de "no comment", Tim Cook, le PDG d'Apple a admis que son groupe travaillait également sur un véhicule sans pilote.
Ces technologies qui semblent encore un peu futuristes combinées avec les avancées dans le domaine électrique pourraient révolutionner totalement la manière dont on se déplace. Le temps perdu dans les transports pourrait tout à coup s'avérer beaucoup plus productif si on libère le chauffeur des contraintes de la conduite. De même, y aura-t-il vraiment toujours un intérêt à posséder une voiture par ménage alors que l'on pourra peut-être réserver via internet un véhicule qui arrivera automatiquement devant notre maison à l'heure souhaitée? La révolution technologique frôle ici la science-fiction.
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Vision des voitures autonomes du futurs? |
Dans ce nouveau puzzle qui se met en place, la Suisse peut tirer son épingle du jeu. Elle possède des compétences reconnues dans la production et la gestion de l'énergie. La recherche fondamentale menée actuellement dans les hautes écoles (notamment les EPF, mais pas seulement) est absolument centrale si l'on veut que notre pays puisse se positionner favorablement dans le monde post-pétrole.
Tout changement technologique majeur a impliqué une modification en profondeur de nos modes de vie, que l'on pense à l'invention de l'imprimerie ou à la révolution industrielle. La prochaine révolution ne devrait pas faire exception. A nous de penser et dessiner le futur que nous souhaitons en prenant en compte cette nouvelle donne.
J. Lovey