12 février 2021

Cachez-moi ce visage que je ne saurais voir : NON à l’initiative anti-burqa

A en croire certain.e.s membres du parti dont l’initiative pour l’interdiction de se dissimuler le visage est issue, il faudrait voter un grand OUI si l’on est féministe afin de libérer ces femmes oppressées. Interdire pour libérer. Voilà un concept qui rappelle le slogan du parti, « enracinés et libres », qui me semble être un mauvais oxymore. Si l’initiative ne vise pas uniquement les femmes musulmanes porteuses de la burqa (bien qu’il faudrait d’avantage parler de niqab), mais également les casseurs/hooligans porteurs de cagoules, il semble que le débat porte d’avantage sur les premières puisque l’initiative est couramment nommée « initiative anti-burqa » dans les médias et que l’image de la musulmane revient fréquemment dans la campagne. D’ailleurs, souvenez-vous, c’était également une musulmane dont on ne voyait que les yeux qui était au premier plan de l’initiative UDC contre les minarets (du même comité). Symbole de l’oppression des femmes, de leur domination non seulement par l’homme mais également par Dieu, la burqa dérange.


Je me considère personnellement comme féministe puisque je pense que si l’égalité est acquise dans le droit, elle n’est pas acquise dans les faits et il y a encore un combat à mener pour changer les mentalités sur les rôles que la société attribue aux femmes et aux hommes. Mon féminisme considère également les femmes dans leur pluralité selon leur classe sociale et leur origine ethnique. Néanmoins, je voterai « NON » le 7 mars prochain, et voici mes raisons :

Premièrement, pour ne parler que des femmes musulmanes en Suisse, celles qui portent la burqa ou le niqab sont très peu nombreuses. Il semblerait qu’environ trente femmes seulement soient concernées. L’écrasante majorité des femmes musulmanes en Suisse n’en portent pas. Pourquoi donc vouloir légiférer sur un sujet qui concerne si peu de citoyennes ? Si on considère alors les porteurs de cagoules, plus de personnes pourraient être concernées. Mais en considérant que ces personnes-là sont déjà portées par la violence et s’inquiètent peu de la légalité de leurs actes, on peut se demander quel impact une autre interdiction, celle de se dissimuler le visage, pourrait avoir. En outre, il existe déjà dans plusieurs cantons des interdictions de se masquer le visage lors de manifestations publiques. Pour cette raison, mes prochains arguments porteront uniquement sur la dissimulation du visage par la burqa ou le niqab. 

Ensuite, l’initiative démontre une xénophobie croissante envers les personnes de confession musulmane, invariablement vues comme étrangères, l’Autre par excellence, avec tout l’imaginaire de la femme asservie et de l’homme barbare. Un retour au fantasme du clash des civilisations de Huntington. Or, une femme musulmane n’est pas forcément une étrangère. Des femmes d’origine européenne ont fait le choix de se convertir à l’Islam, donc l’argument du problème d’intégration avec le port de la burqa ou du niqab, ou la peur de l’immigration extrémiste, souvent rabâchée, ne tiennent pas.

Troisièmement, même si cela semble incompréhensible que des femmes choisissent par elles-mêmes de porter la burqa ou le niqab, il n’en reste pas moins une réalité, et considérer que toutes les femmes qui portent ces vêtements sont soumises et contraintes revient à les infantiliser, et constitue également un déni de démocratie et de la capacité d’agir ou de penser des femmes. Ainsi, même si ce choix n’est pas compris, il reste tout de même valide, et voter « oui » à l’interdiction revient à invalider le choix de ces femmes et à légiférer, encore, sur le corps des femmes.

Enfin, l’argumentaire des défendeurs du « oui », de tous bords politiques, est celui du renforcement de la liberté et de l’égalité entre hommes et femmes. Selon moi, il est beaucoup plus judicieux de se concentrer sur les revendications de la grève féministe du 14 juin (égalité salariale, lutte contre le harcèlement, reconnaissance du travail domestique, d’éducation et de soins, meilleure prise en charge des victimes de violences sexistes et sexuelle, etc.) que de concentrer des efforts et allouer du budget à quelque chose qui touche si peu de femmes et qu’on souhaite libérer sans même leur demander leur avis. En outre, de la part du parti initiateur, l’argument de la liberté des femmes est totalement hypocrite, puisque la seule liberté pour laquelle ils se sont battus pour le bien des femmes est celle de rester chez soi pour s’occuper du foyer.

Enfin, j’ai conscience que l’initiative divise également la gauche et les milieux féministes. Pour moi, il s’agit simplement de ne pas se poser en libérateur ou libératrice, et, encore une fois, de reconnaître le libre-choix des femmes. Quand bien même certaines musulmanes seraient effectivement victimes de contrainte de la part de leur mari, d’une part, la contrainte est déjà punie dans le Code pénal, d’autre part, si l’initiative passe, ce seraient les femmes porteuses du vêtement qui seraient amendées, et non leurs maris. Je ne pense pas qu’il soit judicieux de punir les victimes potentielles. De plus, leur interdire de porter la burqa ou le niqab dans l’espace public pourrait résulter en un isolement encore plus important.

Le fait que je décide de voter « NON » ne signifie absolument pas que je souhaite voir toutes les femmes porter une burqa ou un niqab. De même, cela ne signifie pas que je crache sur les combats féministes dans certains pays musulmans, je considère simplement qu’il n’est pas possible de comparer avec la situation en Suisse. Encore une fois, nous ferions mieux de tourner notre regard vers les problèmes bien concrets qui concernent les femmes en Suisse actuellement, sans fantasmer sur une future islamisation. C’est en restant unies dans la diversité que la lutte féministe pourra avancer.

Vinciane Murisier

4 commentaires:

  1. Vous dites "Premièrement, pour ne parler que des femmes musulmanes en Suisse, celles qui portent la burqa ou le niqab sont très peu nombreuses. Il semblerait qu’environ trente femmes seulement soient concernées. L’écrasante majorité des femmes musulmanes en Suisse n’en portent pas. Pourquoi donc vouloir légiférer sur un sujet qui concerne si peu de citoyennes ?"

    Peu de femmes aujourd'hui sont concernées par la polygamie. Pourtant, on a légiférer. C'était une erreur?

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  2. Et les 2000 touristes ?
    Si ils venaient avec leur femmes en laisse ?
    Le niquab est une oppressions et je suis scandalisée de vous lire

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  3. Le Tadjikistan, pays à 95% musulman, a interdit la burqa en 2015. Ce pays est-il islamophobe?

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    1. Le Tadjikistan est fondamentalement xénophobe. Or la burqa a été interdite parce qu'elle ne fait pas partie de l'habillement traditionnel tadjik.

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