27 mai 2024

Faut-il assouplir l'objectif de 1,5°C pour le réchauffement climatique ?

/UG

Lun, 29 avril 2024
John Gault Nordine 
Ait-Laoussine

Oleg Senkov/Shutterstock


Les 195 parties à l'Accord de Paris de 2015 sont censées poursuivre leurs efforts pour limiter la température moyenne de la planète à 1,5 °C au-dessus des niveaux préindustriels. Avec un tel objectif il est essentiel qu'une organisation, telle que l'Agence internationale de l'énergie (AIE), surveille et publie des mises à jour régulières sur les progrès réalisés pour atteindre l'objectif. En l'absence de telles mises à jour, l'intérêt pour l'objectif pourrait s'estomper et les progrès s'arrêter.

Les rapports de l'AIE indiquent que les politiques déjà mises en œuvre, ainsi que celles annoncées et planifiées par les gouvernements, entraîneront des augmentations de température bien supérieures à celles prévues par l'accord de Paris.

En effet, ces politiques épuiseront rapidement le budget d'émissions restant pour limiter le réchauffement climatique au plafond de 1,5 °C. Selon l'AIE, "les changements structurels dans le secteur de l'énergie sont désormais suffisamment rapides pour atteindre un pic de la demande de pétrole et de gaz d'ici la fin de la décennie dans le cadre des politiques actuelles. Après ce pic, la demande ne devrait pas diminuer assez rapidement pour s'aligner sur l'Accord de Paris et l'objectif de 1,5°C".

Si l'objectif de 1,5 °C s'avère si difficile à atteindre, l'accord de Paris devrait-il être modifié pour spécifier un objectif moins strict ? Est-il rationnel de continuer à poursuivre un objectif irréalisable ?


Scénarios de référence



Au moins de manière implicite, certaines parties à l'Accord de Paris ignorent déjà l'objectif. Les scénarios de référence publiés par l'OPEP et par le Forum des pays exportateurs de gaz (GECF) prévoient une augmentation continue de la consommation mondiale de pétrole et de gaz dans les décennies à venir, ainsi qu'une augmentation des émissions de CO2, mais les scénarios n'indiquent pas l'impact sur les températures mondiales. Pourtant, tous les membres de l'Opep et du GECF ont signé l'Accord de Paris.

De même, l'Administration de l'information sur l'énergie (EIA) du ministère américain de l'énergie présente un scénario de référence dans lequel la consommation mondiale de pétrole et de gaz ne cesse d'augmenter tout au long de la période de prévision (jusqu'en 2050). Les émissions de carbone augmentent également sans interruption. Le rapport n'évalue pas l'impact sur le réchauffement climatique. Pourtant, les États-Unis sont signataires de l'Accord de Paris et se sont donc engagés à respecter la limite de 1,5 °C... Ils se sont retirés de l'Accord de Paris en 2017, mais en sont redevenus parties à l'Accord de Paris en 2021.

L'Institute of Energy Economics of Japan (IEEJ) publie également des scénarios de consommation d'énergie mondiale. Leur scénario de référence le plus récent montre que la demande de pétrole et de gaz augmente de façon continue jusqu'en 2050. Les émissions mondiales de CO2 atteignent leur maximum en 2025, mais restent à peu près au même niveau par la suite. Le rapport ne contient aucune estimation de l'augmentation de la température associée à son scénario de référence. Le Japon est signataire de l'Accord de Paris.

Que penser des scénarios de référence qui ne tiennent pas compte des effets du changement climatique ? Calculer l'impact des émissions de CO2 sur le réchauffement climatique n'est pas sorcier. Les auteurs de ces scénarios le savent très bien. En omettant ce calcul, supposent-ils que l'objectif de l'accord de Paris sera assoupli ou annulé ?

Ou que l'objectif sera tout simplement oublié ?

Toutes les projections énergétiques n'omettent pas les conséquences climatiques. En octobre 2023, le cabinet de conseil McKinsey & Co. a publié une trajectoire compatible avec 1,5 °C, ainsi que quatre scénarios de transition énergétique. Des informations supplémentaires sur les différents secteurs énergétiques ont été fournies en janvier 2024. Chaque scénario comprend des prix implicites du carbone et des estimations de l'augmentation de la température moyenne mondiale. Comparés aux scénarios de l'AIE et de McKinsey, les scénarios de référence publiés par Opec, le GECF, l'EIA et l'IEEJ semblent incomplets et irresponsables. Quelqu'un pourrait-il proposer un chemin pour un randonneur sans l'avertir que le chemin le mènera au bord du gouffre ?


Des engagements qui s'affaiblissent



D’autres sources témoignent de la faiblesse ou de l’affaiblissement des engagements envers l’objectif de l’Accord de Paris. 

 • BloombergNEF, dans un examen d'avril 2024 des régimes politiques à faibles émissions de carbone des pays du G20, a dégradé les classements des États-Unis, de l'UE, du Royaume-Uni, de l'Allemagne et d'autres. Les examinateurs ont constaté que les gouvernements avaient ralenti, affaibli ou fait marche arrière sur les réglementations à faible émission de carbone, et retardé la mise en œuvre d’autres. 
• Le rapport macro sur la transition énergétique récemment mis à jour d'Energy Intelligence voit la transition s'intensifier progressivement grâce aux soutiens politiques et technologiques, mais reste en deçà de l'objectif de 1,5°C. Dans le cadre du scénario central « Momentum » du rapport, la hausse des températures resterait inférieure à 2,5°C. Un scénario « Vitesse » plus rapide ramènerait ce chiffre à 2°C. Le rapport attribue seulement une probabilité de 3 % au scénario Net Zero et 1,5°C. 
• La Banque centrale européenne a récemment mené une enquête sur les pratiques de prêt des banques qui ont rejoint la Net Zero Banking Alliance. « Dans l’ensemble, nos résultats jettent le doute sur l’efficacité des engagements volontaires en matière de climat pour réduire les émissions financées, que ce soit par le biais d’un désinvestissement ou d’un engagement [et] suggèrent que les initiatives volontaires du secteur privé pourraient avoir relativement peu d’impact sur la décarbonisation. »


Face à ces signes de faiblesse ou d’affaiblissement des efforts, on est tenté de rechercher un consensus pour assouplir l’objectif de 1,5°C. Pour ceux qui ont des intérêts directs dans l’industrie des combustibles fossiles, la tentation de poursuivre un assouplissement doit être assez forte. Mais dans quelle mesure faut-il relever le plafond cible ?


Risques climatiques



Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat de l’ONU (GIEC) met en garde : « Les risques et les impacts négatifs projetés ainsi que les pertes et dommages associés dus au changement climatique augmentent avec chaque augmentation du réchauffement climatique (degré de confiance très élevé). »

Par exemple, des températures plus chaudes entraînent, entre autres conséquences dangereuses, des vagues de chaleur plus fréquentes. Une étude de la chaleur exceptionnelle récente (fin mars – début avril 2024) au Mali et au Burkina Faso indique que la canicule était entièrement due au réchauffement climatique. De plus, une vague de chaleur dont on pense qu’elle se produirait une fois tous les 200 ans (lorsque la température moyenne mondiale est de 1,2°C au-dessus du niveau préindustriel) se produirait une fois tous les 20 ans si le réchauffement atteint 2°C.

Des calculs similaires peuvent être faits sur les probabilités et fréquences accrues d'autres conséquences si l'on assouplit l'objectif de 1,5° : inondations, incendies de forêt, niveau des océans, fonte des glaciers, extinctions de la faune, etc. Avant de conclure que l’objectif de l’Accord de Paris de limiter le réchauffement climatique à 1,5°C devrait être assoupli ou abandonné, il convient d’en considérer les conséquences. Même une légère augmentation de ce plafond aura de graves conséquences.

Une démarche plus responsable serait d’insister pour que tous les scénarios, quels qu’ils soient, incluent une estimation du niveau de réchauffement climatique cohérente avec le scénario. Chaque scénario devrait préciser les risques et les impacts négatifs ainsi que les pertes et dommages associés qui sont impliqués par le scénario.

L’AIE a prévenu que « le moment de vérité arrive pour l’industrie pétrolière et gazière ». Un médecin responsable ne parviendrait-il pas à alerter un patient des risques potentiels impliqués par son mode de vie actuel ?

Nordine Ait-Laoussine est un ancien ministre algérien du pétrole et John Gault est un économiste indépendant de l'énergie basé en Suisse. Les opinions exprimées dans cet article sont celles des auteurs.

Traduit de l’anglais : “Should we relax the 1.5°C global warming target?”, publié par Energy Intelligence Group, 29 avril 2024

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