À la veille de l'invasion de l'Ukraine par la Russie, nous avons appelé à une collaboration entre les exportateurs et importateurs de pétrole pour faciliter l'inévitable transition énergétique vers une moindre dépendance aux combustibles fossiles. Peu de temps après, le PDG de Saudi Aramco a appelé à la création d'un "forum mondial sur la transition énergétique" pour "combler le fossé entre l'idéalisme et le pragmatisme avec un plan de transition pratique, stable et inclusif, sans compromettre nos objectifs climatiques". Quelques semaines plus tard, le ministre de l'énergie des Émirats arabes unis a déclaré que "nous devons être des planificateurs sages et à long terme, et nous entendre avec les IOC [compagnies pétrolières internationales] et les NOC [compagnies pétrolières nationales] si nous voulons avoir un avenir énergétique durable et abordable". De telles invitations émanant des principaux exportateurs de pétrole constituent un soulagement bienvenu aux malentendus entre producteurs et consommateurs de pétrole. Trop souvent, les producteurs et les consommateurs ont semblé vivre dans des mondes différents. Aujourd'hui, plutôt que de s'affronter, toutes les parties doivent s'asseoir du même côté de la table pour discuter de la meilleure façon de conduire la transition énergétique.
La guerre en Ukraine a perturbé la voie de la transition en stimulant la demande en énergies fossiles provenant de sources considérées comme sûres à court terme, tout en motivant des investissements plus rapides dans les énergies renouvelables, accélérant ainsi la transition. La guerre a mis en évidence les décalages temporels entre les investissements énergétiques et l'approvisionnement en énergie. Pourtant, ces mêmes décalages sont une des raisons principales pour lesquelles la collaboration entre les acteurs de l'énergie est indispensable.
Aucun investisseur raisonnable ne développera de nouvelles capacités de production et de
transport de gaz naturel pour répondre aux besoins urgents de l'Europe en matière de diversification de son approvisionnement sans avoir l'assurance que ses clients continueront à utiliser la production supplémentaire pendant toute la durée de vie du projet. Le PDG d'Aramco l'a exprimé ainsi : "Qui va investir alors que la demande est censée diminuer juste au moment où vous commencez à recevoir un rendement sur vos investissements ?"
Les importateurs d'énergie qui désirent acquérir des quantités supplémentaires de pétrole et de gaz pour combler temporairement leurs besoins jusqu'à ce qu'une capacité d'énergie alternative suffisante soit développée, découvriront qu'ils doivent prendre un engagement plus permanent. Les exportateurs d'énergie s'attendent logiquement à ce que les installations qu'ils développent pour répondre aux besoins immédiats des importateurs ne seront pas mises au rebut dès que leurs clients n'en auront plus besoin.
La guerre en Ukraine pose un autre défi connexe qui ne peut être résolu que par la collaboration. Si les échanges internationaux ont bénéficié d'une longue période de calme relatif, durant laquelle la plupart des litiges pouvaient être réglés par la renégociation ou résolus par l'arbitrage, la rupture brutale des relations avec la Russie dans le domaine de l'énergie, du commerce et de l'investissement a mis fin à cette période. Les investisseurs ne peuvent ignorer les conséquences douloureuses des sanctions et des désinvestissements récents. Ils deviendront plus prudents et peu enclins à risquer l'avenir.
Remettre sur les rails
Sans collaboration effective, la transition énergétique mondiale, qui nécessite des investissements massifs, pourrait stagner. Selon l'Agence Internationale de l'Energie (AIE), la limite du réchauffement de la planète à 1,5 °C nécessite une augmentation des investissements de 4 000 milliards de dollars par an d'ici à 2030. Le Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Evolution du Climat (GIEC) estime que ce même objectif nécessitera 2 700 milliards de dollars par an en moyenne entre 2023 et 2050 pour le seul secteur de l'électricité. Une grande partie de ces investissements devront être réalisés dans les pays à faible revenu. Mobiliser des investissements de cette ampleur nécessitera une plus grande collaboration entre toutes les parties prenantes, qu'elles soient exportatrices ou importatrices d'énergie.
Le meilleur argument en faveur d’une collaboration étendue réside dans le fait que les scénarios "zéro émission" développés par le GIEC ou l'AIE ne sont pas auto-exécutoires. Ces modèles complexes produisent ce qui semble être des courbes lisses qui conduiront au cours du siècle vers des niveaux d'émissions considérablement plus limités. Mais la transition énergétique nécessite la mise en œuvre de nombreux projets individuels et le développement et le déploiement de technologies dont certaines ne sont pas encore commercialement viables. Chaque projet peut faire face à une opposition locale, dans des juridictions où les recours des opposants peuvent persister pendant une décennie ou plus. La coordination entre les investisseurs et les gouvernements peut aider à rassembler les projets individuels en un programme cohérent dont le résultat se rapprochera des scénarios modélisés.
Dans l'immédiat, les importateurs et les exportateurs doivent s'adapter à la réorientation des flux d’énergies fossiles provoquées par la guerre en Ukraine et les sanctions qui en découlent contre la Russie. Il s'agit là d'une distraction indésirable et nuisible aux objectifs de la transition à plus long terme consistant à réduire progressivement la consommation d’énergies fossiles. Les augmentations des prix de l'énergie, ainsi que les perturbations de la chaîne d'approvisionnement d'autres biens et matériaux, ont contribué à une poussée de l'inflation. La solution passe par des approvisionnements supplémentaires, complétés par la réduction des stocks stratégiques. Pendant des décennies, l'OPEP a maintenu des capacités de production inutilisées dans plusieurs pays membres et a fait appel à cette capacité pour modérer les hausses de prix soudaines dans des circonstances analogues à celles vécues aujourd'hui - par exemple, pendant la guerre Iran-Irak dans les années 1980 et pendant la crise du Koweït en 1990-1991.
À plus long terme, les études les plus récentes de l'AIE et du GIEC indiquent que, pour atteindre la neutralité carbone d'ici 2050, la consommation en énergies fossiles devra bientôt amorcer une baisse conséquente, mais ils devront aussi continuer à jouer un rôle important dans l'approvisionnement énergétique mondial pendant encore de nombreuses décennies. Les parties prenantes doivent donc accepter le défi lancé par le PDG d'Aramco de collaborer pour passer de l'idéalisme au pragmatisme, facilitant ainsi la transition énergétique dans l’intérêt de tous.
Collaboration mondiale
Un "forum mondial sur la transition énergétique" pourrait s'appuyer sur les collaborations existantes et les renforcer en axant ses efforts sur les projets suivants : réduire les émissions de méthane, développer de nouveaux projets de capture et de séquestration du carbone (notamment pour les émissions des centrales électriques et des industries), accélérer considérablement les efforts de reforestation et faciliter l’accès aux énergies renouvelables aux populations qui n'ont pas accès à un approvisionnement régulier d'électricité. Les compétences et les ressources dont disposent actuellement les consommateurs, les producteurs et les entreprises, si elles étaient mises à profit conjointement et de manière coordonnée, pourraient conduire à des résultats bien plus importants que ceux obtenus par un groupe travaillant seul.
L'OPEP, les IOC et les NOC se plaignent d'avoir été ignorés lors des rencontres internationales sur le climat, dominées selon eux par les consommateurs et les organisations environnementales. Sans la collaboration des exportateurs d'énergie et des entreprises, la transition risque de manquer son objectif. La collaboration de toutes les parties sur des projets à haute visibilité tels que ceux mentionnés ci-dessus permettrait d'aligner les intérêts et les capacités des parties prenantes, et de faire progresser l'objectif commun. Aujourd'hui, nous devons réitérer notre conclusion de 2019 : "L'option qui consiste à poursuivre la demande actuelle [...] n'est pas vivable. Nous devons tous faire mieux."
Nordine Ait-Laoussine est un ancien ministre algérien du pétrole et John Gault est un économiste indépendant de l'énergie basé en Suisse. Publié en anglais le 29 avril par Energy Intelligence Group.
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