5 avril 2022

Tournant : Une stratégie finale de coopération pour une transition énergétique ordonnée.

de Nordine Ait-Laoussine et John Gault

Les plus grands importateurs de pétrole et de gaz du monde et les plus grands exportateurs ne sont pas sur la même longueur d'onde. Les importateurs - qui, jusqu'à présent, donnent le ton dans le débat mondial sur le climat - insistent pour accélérer la transition vers l'abandon des combustibles fossiles. Les pays exportateurs de pétrole et de gaz doivent relever le défi de la transition énergétique tout en retardant le plus possible la perspective de la mise au rebut de leurs actifs. L'incapacité de chacun à reconnaître les préoccupations de l'autre crée déjà des problèmes ingérables pour les deux. Nous pensons qu'une collaboration entre les deux parties permettrait d’avancer le débat dans la bonne direction.

Les pays importateurs, dont les plus grands émetteurs de dioxyde de carbone, insistent pour que toutes les nations prennent des engagements toujours plus ambitieux en matière de réduction des émissions. Lors de la COP26 à Glasgow en novembre dernier, une déclaration conjointe des États-Unis et de la Chine a noté l'écart important entre les engagements nationaux annoncés à ce jour et ce qui sera nécessaire pour atteindre les objectifs de l'accord de Paris. Les États-Unis et la Chine ont appelé à "combler cet écart dès que possible, notamment en intensifiant les efforts."

Au nom des pays exportateurs, l'OPEP participe depuis des décennies aux conférences des Nations Unies sur le changement climatique, attirant l'attention sur les problèmes auxquels sont confrontées les économies dépendantes des exportations de ressources et les nations à faible revenu qui ont besoin de combustibles fossiles pour se développer. Le secrétaire général élu de l'organisation a annoncé son intention de chercher à "jouer un rôle plus important, à avoir davantage voix au chapitre, à participer davantage et à être plus visible dans ce dialogue... à jouer un rôle plus proactif", laissant entendre que le plaidoyer passé de l'OPEP n'a pas suffisamment influencé le débat mondial.

Les actions récentes de l'OPEP+ reflètent cette position plus déterminée et révèlent - explicitement ou implicitement - la stratégie finale du groupe :

Premièrement, maintenir le flux de revenus le plus élevé possible aussi longtemps que possible afin de retarder les conséquences néfastes de la transition et de faire face aux investissements dans la diversification économique. Ce transfert de richesse au détriment des nations importatrices de pétrole réduit simultanément la capacité financière des importateurs à investir dans leur propre diversification énergétique.

Deuxièmement, ignorer l'impact des prix élevés du pétrole sur les consommateurs de pétrole, ainsi que les plaidoyers du président américain Joe Biden et d'autres pour accroître suffisamment l'offre afin de faire baisser les prix. L'inquiétude concernant l'amenuisement de la capacité de production excédentaire de l'OPEP n'a même pas été soulevée lors de la réunion de l'OPEP+ du 2 février.

Troisièmement, ignorer l'impact des prix du pétrole sur l'inflation mondiale plus large et l'obstacle que l'inflation peut représenter pour les investissements dans les énergies propres dans les pays importateurs de pétrole.

Quatrièmement, ignorer le risque que les prix élevés du pétrole freinent la demande de pétrole et accélèrent le pic de la demande mondiale.

Encouragés par leur succès actuel à maintenir la ligne de prix à des niveaux relativement excessifs, les principaux producteurs de l'alliance OPEP+ pourraient redoubler d'efforts en matière de gestion du niveau de leur production afin de rester fermement maîtres du marché. Leur objectif est de prolonger la durée de vie de leurs réserves de combustibles fossiles aussi longtemps que possible, tout en se préparant, techniquement et financièrement, à une transition incontournable vers une économie à faible émission de carbone.

Ils contrôlent l'essentiel des exportations de pétrole et de gaz et comptent sur le réalignement des objectifs de l'Arabie Saoudite et de la Russie. Avec ses coûts de production les plus bas, l'Arabie Saoudite semble déterminée à rester maîtresse du marché pétrolier, tandis que la Russie renforce son pouvoir sur le marché du gaz naturel grâce à sa production extensive de gaz à faible coût.

L'alliance OPEP+ semble désormais moins préoccupée qu'auparavant par les conséquences de ses actions sur les perturbations temporaires du marché ou la volatilité de l'expansion économique mondiale. L'aspiration historique à préserver suffisamment de ressources pour les générations futures, généralement partagée par les membres, perd de sa pertinence et certains d'entre eux sont davantage préoccupés par la crainte de se retrouver avec des actifs échoués.

Au moment où la demande pétrolière continue d’augmenter, les exportateurs devraient saisir leur dernière chance d'exercer un pouvoir économique et politique et de faire entendre leur voix dans les débats sur le climat, avant que la consommation mondiale de pétrole ne commence son inévitable déclin.

Retards du côté des importateurs


Dans le même temps, les pays importateurs de pétrole se rendent compte que leur propre transition énergétique sera un processus plus long et plus difficile que prévu. La production de véhicules électriques a été retardée - quoique peut-être temporairement - par des perturbations de la chaîne d'approvisionnement dues à la crise sanitaire.

La législation de M. Biden autorisant des investissements massifs dans les infrastructures afin de respecter les engagements des États-Unis en matière de changement climatique est bloquée au Sénat américain. L'opposition publique aux taxes sur les émissions a été enregistrée en France (mouvement des gilets jaunes) et en Suisse (rejet populaire de la loi sur le CO2 en juin 2021).

L'UE reconnaît désormais qu'elle aura besoin de gaz naturel pendant une période prolongée pour remplacer les centrales électriques au charbon, et que sa forte dépendance à l'égard des importations de gaz russe nécessite, pour des raisons de sécurité, des investissements dans des infrastructures gazières alternatives - malgré le souhait précédemment exprimé par l'UE d'éviter tout nouvel investissement dans les combustibles fossiles.

Les exportateurs et les importateurs sont confrontés à des défis similaires. Pour les uns comme pour les autres, la fin de l'ère du pétrole promet d'être longue et complexe.

À terme, les pays exportateurs de combustibles fossiles doivent diversifier leurs économies pour ne plus dépendre des exportations de ressources naturelles, mais ils savent que ce processus sera très long. Parallèlement, les pays importateurs de combustibles fossiles commencent à réaliser l’étendue du temps qu'il leur faudra pour diversifier leur consommation d'énergie aux dépens des combustibles fossiles.

Les avantages de la collaboration


Les importateurs et les exportateurs de pétrole et de gaz pourraient collaborer pour faciliter leurs transitions mutuelles. Les importateurs pourraient reconnaître le besoin d'assistance des exportateurs pour diversifier leurs économies en proposant des investissements alternatifs, des transferts de technologie et le développement des ressources humaines.

Par exemple, la ministre allemande des affaires étrangères, avant sa visite de janvier à Moscou, a évoqué "des possibilités de coopération [...] dans les domaines de la science et de la culture, des échanges et des investissements, des énergies renouvelables et de la lutte contre la crise climatique, dont l'impact se fait de plus en plus sentir en Russie comme ailleurs".

La déclaration russe de haut niveau à l'ouverture de la COP26 exprimait ainsi la même idée : "Le changement climatique exige que tous les pays travaillent ensemble pour partager leurs connaissances et leurs outils. Il ne devrait y avoir aucune discrimination ou restriction empêchant les pays d'accéder et d'utiliser les technologies et les outils financiers qui faciliteront le développement de nouvelles infrastructures durables, le captage et le stockage, la décarbonisation, l'amélioration de l'efficacité énergétique et le soutien à la transition vers des énergies propres."

Le secrétaire général sortant de l'OPEP, s'adressant à la COP26, a exprimé un point de vue similaire : "Les pays en développement ont souligné la nécessité d'un soutien accru, notamment en termes de ressources financières, de développement et de transfert de technologies, et de renforcement des capacités, ainsi que d'un nouvel objectif collectif pour le financement du climat, afin d'aider l'adaptation et de soutenir les ambitions accrues en matière d'actions d'atténuation du réchauffement du climat."

Le directeur de l'AIE, qui, en mai dernier encore, avait prévenu que l'atteinte d'émissions nettes de carbone nulles d'ici 2050 impliquait une forte réduction de la consommation mondiale de pétrole, qui passerait de 100 mbj aujourd'hui à 24 mbj seulement, exhorte désormais l'OPEP+ à accroître sa production. Pas plus tard que la semaine dernière, il a déclaré : "Il est important de discuter de la manière dont cette transition [énergétique] peut être effectuée de manière ordonnée."

Les exportateurs de pétrole devraient admettre que les prix élevés du pétrole peuvent jouer en leur défaveur à long terme, et proposer à la place d'accélérer leurs propres réductions d'émissions (en particulier les émissions de méthane) en échange d'une aide pour leur transition énergétique. Les exportateurs et importateurs de pétrole pourraient collaborer à un programme visant à fournir de l'énergie renouvelable aux 770 millions d'êtres humains qui n'ont toujours pas accès à l'électricité. Si la volonté et la confiance sont au rendez-vous, de nombreuses formes de coopération entre exportateurs et importateurs pourraient faciliter la fin de l'ère du pétrole.

Les auteurs sont des consultants indépendants en énergie basés en Suisse. Nordine Ait-Laoussine est également un ancien ministre algérien de l'énergie. Une version anglaise de cet article a été publié le 23 février 2022 par Energy Intelligence Group, World Energy Opinion.

John Gault 
Chez-les-Reuses

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