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23 juillet 2020

L'Europe à un tournant historique


On se tromperait à sous-estimer l’importance de l’accord européen signé mardi dernier par le Conseil européen. Le 21 juillet 2020 marquera l’histoire de notre continent. Et cela pour plusieurs raisons.


Un accord financier sans précédent
Tout d’abord parce que les 27 états membres de l’UE ont approuvé un plan de relance de 750 milliards d’euros. Le montant est vertigineux, mais il faut le remettre en perspective. Il représente un peu plus de 1% du PIB de l'UE (puisqu'il sera étalé sur trois ans). Le Congrès américain a voté, quant à lui, un plan de relance de plus de 2000 milliards de dollars et ce montant pourrait encore être augmenté.
Sur ces 750 milliards, 360 milliards seront mis à disposition des états en faisant la demande, à un taux favorable, sous forme de prêt.
La partie vraiment innovante concerne les 390 milliards additionnels: ceux-ci serviront directement de subventions aux états en ayant le plus besoin, dont l'Italie, l'Espagne et la France, des pays particulièrement touchés par la pandémie. Ce qui est intéressant, c’est que ces 390 milliards sont conditionnés à des projets concrets et ne pourront pas être utilisés n’importe comment: un tiers devra être directement consacré à la transition énergétique, soit 130 milliards. En ajoutant ces 130 milliards aux différents programmes environnementaux nationaux prévus par les états, on constate aujourd’hui que l’UE se dote du plus grand fonds mondial de financement de la transition écologique. Pas mal pour des états que l’on disait si désintéressés par la vague verte. On jugera bien évidemment sur les résultats, mais le moment est clairement historique.

Fédéralisme européen
L’événement est également historique parce que c’est l’une des premières fois que l’UE accepte de mutualiser une dette, du moins de cette ampleur. Cela signifie que les 27 états deviennent collectivement responsable de son remboursement; quelques dirigeants ont déjà avancé quelques pistes, mais cela n’est pas l’objet de cet article.
On assiste aujourd’hui à un pas important vers un véritable fédéralisme européen. J’en veux pour preuve, et c’est un peu technique désolé, que cette mutualisation ne touche pas uniquement les membres de la zone euro, mais bien l’ensemble des membres de l’Union. Le premier effet collatéral de cette décision est qu’elle empêche quasiment à coup sûr le départ d’un autre des membres de l’UE. Après le traumatisme du Brexit, les différents membres ont fait le choix - ils n’en étaient pas obligés - de se lier plus fortement encore.

Victoire des valeurs
On entend souvent dire que l’UE n’est qu’une affaire de gros sous; le présent accord semble vouloir donner raison à ses contempteurs. En fait, c’est l’exact inverse. C’est l’Europe des valeurs, des idées et de la volonté de travailler ensemble qui a triomphé, pas celle du chacun pour soi, pas celle de la petite comptabilité mesquine. C’est du coup la fin de la règle des 3% de déficit autorisés par les critères de Maastricht. C’est la fin de cette Europe que la gauche a tellement fustigé, à commencer, en France, par Mélenchon qui pour l’occasion, au-delà de son emportement feint, aurait mieux fait de reconnaître que c’est exactement ce qu’il demande depuis des années; son collègue espagnol du mouvement Podemos Pablo Iglesias a, par sa part, vivement salué l'accord.
Dans ces circonstances, il faut bien rendre à César ce qui lui appartient: cet accord est notamment le fruit d’une politique européenne ambitieuse voulue et menée par le président Macron. Il est de bon ton chez nos voisins français de le vouer aux gémonies; il faut bien reconnaître qu’il a su modeler, avec la coopération des 26 autres états membres, une UE plus solide, plus solidaire et plus fédéraliste. Qui s'en plaindra?

Et le Royaume-Uni dans tout ça?
Si le Royaume-Uni était encore membre de l’UE, on peut imaginer qu’il aurait fermement refusé cet accord, comme il l’a fait à plusieurs reprises pour des sujets similaires par le passé. Ayant décidé et lancé les opérations de son fameux Brexit, il ne touchera aucun montant de la part de ses 27 anciens coreligionnaires; il devra assumer seul son plan de relance interne.
Alors que le délai pour un accord sur le Brexit est fixé officiellement au 31 décembre 2020 (réellement au plus tard au début octobre pour laisser aux parlements nationaux des 27 le temps de l'approuver ou non). Le royaume de Sa Majesté a énormément souffert de la crise sanitaire et peine encore à relever la tête. Une éventuelle seconde vague de COVID-19 à l’automne et la perspective d’un no deal avec l’UE pourrait rendre sa situation catastrophique.

Et la Suisse?
Dans un premier temps, la Suisse va bénéficier indirectement de ce plan de relance colossal. L’UE étant son premier partenaire économique extérieur, elle a tout intérêt à ce que celui-ci ne s’effondre pas, en particulier au regard de son industrie d’exportation et de son tourisme. Une économie qui redémarre chez nos voisins (à condition que ce soit véritablement le cas) ne pourra que soutenir l'économie intérieure de la Suisse.
Politiquement, la Confédération négocie péniblement depuis plusieurs années un accord-cadre avec l’UE. On a souvent présenté notre partenaire européen comme faible, à bout de souffle, écartelé par ses guerres intestines et incapable de se donner un cap. Après l’épisode du Brexit où l’UE a fait preuve d’une remarquable unité, sans discordance apparente, après le plan de relance du 21 juillet, l’îlot suisse voit ses voisins s'organiser autour de lui et prendre des décisions qui concerneront plus de 500 millions d'habitants sans avoir voix au chapitre. Il serait particulièrement mal venu aujourd’hui de la part des citoyens helvétiques de couper les ponts avec cette union renforcée en suivant les dérives populistes de l’UDC en septembre.

J. Lovey

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