15 octobre 2015

Migrants, requérants, réfugiés et réfugiés économiques Questions à l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés

Depuis quelques mois, la « crise des migrants » fait la une des médias et occupe le monde politique en Suisse et en Europe. Entremont Autrement a voulu donner la parole à une organisation suisse qui vient en aide aux personnes qui ont besoin de protection, aux requérants et réfugiés : l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés ou OSAR. Le but principal de cette organisation est de sensibiliser le public suisse à la problématique des réfugiés et de veiller aux respects de leurs droits. Michael Pfeiffer, juriste au sein de l’OSAR, a bien voulu répondre à nos questions.

Entremont Autrement : depuis les premières règlementations sur le statut de réfugiés en Suisse dans les années 1950, la situation dans le monde a énormément changé : le nombre de pays en guerre, de dictatures, de pays économiquement sans avenir ne fait que accroître le nombre de personnes quittant leur pays pour des raisons de sécurité ou pour des raisons économiques: pensez-vous qu’il soit encore possible de distinguer la migration due à la pauvreté dans le pays d’origine et celle causée par une situation de conflit ? 
Michael Pfeiffer : En 1950, le monde comptait une population d’environ 2,5 milliards d’êtres humains. Aujourd’hui celle-ci a presque triplé, puisqu’elle s’élève à environ 7,3 milliards. Par ailleurs, les richesses sont encore et toujours détenues par une relative minorité, principalement par ce qu’on nomme le monde occidental (Europe, Amérique du Nord, Australie). Il faut également prendre en compte l’accroissement exponentiel des moyens de transports. L’Afrique a connu la décolonisation, avec l’instauration de dictatures dans de nombreux Etats, et a vu sa population quintupler, passant de près de 229 millions à 1,15 milliard. En parallèle à cette évolution politique et démographique, le continent africain a connu et connaît de nombreux conflits. Cela a inévitablement pour effet d’accroître la pression migratoire et sans doute augmentera-t-elle encore significativement ces prochaines années. Cependant, pour en venir plus directement à votre question, il sied, dans le contexte du droit des réfugiés, de préciser que la notion centrale de ce droit est celle du « risque de persécution ». Quiconque craint à juste titre un risque de persécution est un réfugié et doit pouvoir bénéficier d’une protection internationale s’il n’arrive pas à trouver refuge sur le territoire de son propre Etat national. Il ne s’agit donc pas, en premier lieu, d’une population qui fuit soit la misère, soit une situation de violence généralisée. La persécution, au sens du droit de l’asile, doit être ciblée et motivée par des raisons d’ordres raciaux, nationaux, religieux, politiques ou sociétaux (ex. homosexualité, mutilation génitales, mariage forcé).
En Suisse par exemple, la personne qui fuit une guerre n’est en général pas reconnue comme réfugié et ne se voit accorder qu’une protection provisoire (permis F), car pour l’autorité la persécution n’aurait souvent ni un caractère ciblé, ni un motif relevant du droit d’asile. Actuellement, de nombreux requérants syriens n’obtiennent pas le statut de réfugié, bien que la plupart se sont vus imputés un comportement hostile soit par le régime, soit par les autres forces en présence et cette imputation a pour conséquence que la personne concernée remplit le plus souvent les conditions requises et devrait se voir reconnaître la qualité de réfugié.
La procédure d’asile vise donc à déterminer, en fonction des motifs de fuite du pays d’origine invoqués et de l’analyse de ces motifs, quel type de protection la personne concernée est susceptible de se voir octroyer. Les demandeurs qui n’auraient que des motifs d’ordre économique voient leur demande d’asile très rapidement rejetée. Toutefois, il se peut que des aspects d’ordres médicaux (problème médical grave, voire très grave uniquement) puissent représenter un obstacle au renvoi et que finalement ces personnes se voient également être mises au bénéfice d’une admission provisoire. En Suisse, les principaux pays d’origine des personnes dans le processus « asile » sont au 31 août 2015, l’Erythrée, la Syrie, l’Afghanistan, la Somalie, le Sri Lanka, la Chine et l’Irak. Ces sept pays représentent, à eux seuls, plus de 70% des personnes dans ledit processus. A teneur de ces chiffres, on voit bien que l’immense majorité provient de pays où il est notoire que des risques de persécutions au sens du droit d’asile peuvent survenir. Par conséquent, vouloir laisser entendre que la plupart de ces demandeurs fuient la misère plutôt qu’une situation spécifique a priori pertinente en matière d’asile brouille la réalité. Pour répondre clairement à votre question, oui, la distinction est absolument essentielle afin que le droit d’asile continue de protéger celles et ceux qui risquent de subir de sérieux préjudices pour des raisons raciales, nationales, religieuses, politiques ou sociétales. 

Entremont Autrement : l’UDC affirme que la plupart des migrants venant d’Afrique ne sont pas des réfugiés car ils fuient une situation économique et non pas politique. Est-ce un jugement correct de la situation actuelle en Afrique? 
Michael Pfeiffer : Parler de migrants venant d’Afrique comme un tout est en soi déjà une manière de mal poser le problème. Il suffit pour s’en rendre compte de voir les pays d’origine des demandeurs d’asile africains dans le processus de l’asile à fin août 2015. Combien proviennent de pays très pauvres comme la République du Congo, du Burundi ou du Mali ? Ils sont en tout 144, tandis que les érythréens – l’Erythrée est une dictature militaire extrêmement dure quoiqu’en dise l’UDC – sont 14'982, soit tout simplement 100 fois plus nombreux. Comme cité dans la réponse ci-dessus, parmi les sept pays d’origine les plus représentés, il n’y a que l’Erythrée et la Somalie qui se situent en Afrique. Personne n’ignore que la Somalie est en proie à la violence depuis plus d’un quart de siècle et qu’on ne peut même pas vraiment parler d’Etat en ce qui la concerne. Prétendre que les migrants d’Afrique qui déposent une demande d’asile ne fuient qu’une situation économique n’est donc pas conforme à la réalité. Certes, ce facteur peut aussi jouer un rôle, il suffit toutefois pour se voir reconnaître la qualité de réfugié qu’il existe aussi un risque de persécution. Procéder à cette analyse n’est certes pas toujours facile lorsque les facteurs économiques s’imbriquent dans une histoire où existe également un fond de persécution pertinent sous l’angle du droit d’asile.

Entremont Autrement : que pensez-vous de la proposition de l’UDC qui demande une gestion autonome des frontières suisses et qui pousse les sections locales de l’UDC à combattre de manière systématique l’ouverture de nouveaux centres d’accueil de réfugiés? 
Michael Pfeiffer : Il s’agit là manifestement de l’expression du mythe de l’indépendance et d’un contrôle strict possible aux frontières, tant notre monde est de plus en plus interconnecté. Notre collaboration avec l’Europe apporte des gains en matière de sécurité (voir les réponses de M. Guéniat à ce sujet). L’UDC combat les accords de Schengen et Dublin pour des raisons de principe qui tendent à ignorer les réalités politiques du monde contemporain. Par ailleurs, refuser d’accueillir des personnes en quête de protection est contraire à l’idée que la majorité des citoyens et citoyennes de ce pays se font de l’idée de civilisation. Rejeter l’étranger parce qu’il est un « autre » et pour ce seul fait, au prétexte qu’une minorité abuserait de notre hospitalité, est indigne de notre tradition humanitaire.

Entremont Autrement : que pensez-vous de l’idée du PDC qui propose de lever l’interdiction de travailler pour les requérants, mais sans pour autant que ce travail soit rémunéré ?
Michael Pfeiffer : Le travail des personnes relevant du domaine de l’asile est une question extrêmement complexe qui nécessiterait un long développement pour dégager une image plus ou moins conforme à la réalité, tant elle est multiple et diversifiée et ce aussi en raison de pratiques cantonales très disparates. Ainsi, même si la loi fédérale permet en principe à un requérant d’asile de travailler après trois mois suivant le dépôt de sa demande d’asile et qu’un employeur potentiel souhaite l’engager, les restrictions au niveau des offices de l’emploi cantonaux demeurent très nombreuses et varient de cantons en cantons. Ensuite, même une fois au bénéfice d’une admission provisoire ou du statut de réfugié, la recherche d’emploi reste difficile en raison de nombreux facteurs (langue, formation inappropriée ou non-reconnue, méfiance, problème de santé psychologique pour les personnes torturées). Pour en venir à la question, je considère la proposition tout simplement iconoclaste, tant il est impensable qu’un emploi ordinaire puisse ne pas être rémunéré. Il ne s’agit donc pas d’un droit au travail mais un droit, voire une obligation, à l’occupation que préconise le PDC. Qu’il propose donc des crédits pour développer les projets qui visent à une occupation intégrative et offrent des perspectives d’avenir à cette population.

Entremont Autrement : plusieurs pays européens prennent des mesures pour fermer leurs frontières; d’autres sont dépassés par l’afflux des migrants. Pensez-vous qu’il soit possible de freiner ou stopper cette migration des pays pauvres ou en guerre vers l’Europe et si ce n’est pas possible, quelles mesures doivent prendre les pays européens à long terme ? 
Michael Pfeiffer : A cette question, je ne suis pas en mesure de répondre. Je me permettrai juste de faire une remarque et exprimer un avis. Comme cela ressort des réponses ci-dessus, je ne pense pas que nous sommes face à un afflux de migrants fuyant la pauvreté. La Syrie était par exemple un pays bien développé avant le déclenchement de la guerre civile. Outre que les plus pauvres parmi les pauvres n’ont en général pas les moyens de partir, les origines des demandeurs d’asile démontrent que des aspects très divers déterminent le choix de l’exil et de la migration. Toutefois, l’essentiel pour l’instant est de savoir comment on traite les personnes qui sont déjà là ou sur le chemin de l’exil. Veut-on les dégoûter en les maltraitants – et ainsi ne pas se respecter soi-même – en croyant que notre attractivité s’en trouverait amoindrie ou désirons-nous être dignes et les recevoir sans préjugés et sans peurs ? Pour qui fuit la Syrie de nos jours, je doute beaucoup que nos actions ici aient une quelconque influence sur le choix du départ.

Entremont Autrement : Il y a une soixantaine d’années, la Suisse accueillait des milliers de réfugiés tchèques et hongrois, tibétains, vietnamiens ; le statut de réfugiés leur était accordé presqu’automatiquement, il n’y avait pas de tension au sein de la population, qui était aussi prête à faire un effort pour les accueillir et ne prendre soin… qu’est-ce qui explique la réaction très différente de la population aujourd’hui face à une possible afflux de réfugiés ? 
Michael Pfeiffer : Mais en êtes-vous vraiment sûr de cette différence ? Ne croyez-vous pas qu’il y avait déjà des tensions à cette époque ? Déjà dans les années 70 l’initiative « Schwarzenbach » a convaincu presque la moitié de la population. Cela dit, je ne peux pas vraiment vous répondre pourquoi il serait plus difficile aujourd’hui d’accueillir des réfugiés que par le passé. Il y a peut-être le fait d’avoir peut-être trop formalisé la procédure en instillant dès le début un esprit de méfiance et de doute à l’égard du demandeur d’asile. La notion permanente de « l’abus » a certainement joué un rôle important. Cette méfiance est sans doute la base d’un malentendu. Au lieu de faire confiance et de croire la majorité, l’idéologie de la lutte contre les abus a souvent crispé les parties en présence dans la procédure d’asile. D’un côté un fonctionnaire qui pense, « à moi on ne la fait pas celle-là » et de l’autre un requérant qui pense « comment est-ce que je vais répondre correctement à ces questions ? » au lieu de franchement expliquer sa situation et de créer une ambiance qui correspond aux besoins des personnes y participant. Une dernière remarque sur le climat politique et les réalités: la politique a tendance à parler au nom du peuple. J’ai beaucoup de peine à croire que ce peuple est au fond si inhospitalier. Les exemples de notre travail comme les projets à Riggisberg ou les milliers de personnes qui nous sollicitent pour s’informer où et comment ils peuvent aider les refugiés montre bien une autre image de la population et de ce pays.

Entremont Autrement remercie l’OSAR par la voix de Michael Pfeiffer d’avoir bien voulu répondre à ses questions. Mardi 6 octobre 2015, ARTE a diffusé une série de reportages et de documentaires très instructifs sur l’exil, l’immigration, la politique européenne en matière de migration, à revoir sur le site de ARTE.

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