Il y a six mois, nous avions souligné que certaines prévisions énergétiques négligeaient de préciser les impacts de leurs projections ou scénarios sur le réchauffement climatique. Nous nous sommes demandé si cette omission était intentionnelle et si elle devait être interprétée comme un rejet de facto de l’objectif de l’Accord de Paris de limiter le réchauffement à +1,5°C. Nous avons exhorté tous les prévisionnistes à identifier ces impacts dans leurs rapports ultérieurs. Depuis lors, de nouveaux rapports ont encore une fois omis de mentionner les implications sur le réchauffement climatique de la croissance continue de la demande mondiale de pétrole projetée. Notre questionnement persiste : comment interpréter l’incapacité de certains prévisionnistes à préciser les implications de leurs projections ? Ignorent-ils délibérément l’objectif de l’Accord de Paris ?
Tous les prévisionnistes n’ignorent pas les impacts climatiques. Certains sont plus explicites dans le calcul des émissions de CO2 anticipées et des augmentations de température mondiale résultant de chaque scénario. Ils reconnaissent également que le monde n’est pas sur la bonne voie pour contenir le réchauffement climatique à 1,5°C au-dessus des niveaux préindustriels. Et à chaque nouveau rapport, la probabilité d’atteindre l’objectif devient de plus en plus faible ; les scénarios conduisant à « zéro émission nette d’ici 2050 » deviennent de moins en moins crédibles.
Il était important de fixer un objectif dans l’Accord de Paris de 2015, et d’évaluer régulièrement les progrès vers cet objectif afin de contribuer à une amélioration des performances. Cependant, à mesure que cet objectif s’éloigne de plus en plus, risquons-nous de nous laisser entrainer par des vœux pieux ?
L’indifférence aux implications de leurs actions sur le réchauffement climatique ne se limite pas aux prévisionnistes. Nous observons bien d’autres signes d’un écart grandissant entre les performances réelles et les objectifs déclarés.
Production de pétrole
De 2015 (Accord de Paris) à 2023, les pays membres de l’Opep (organisation des pays exportateurs de pétrole) ont réduit leur production pétrolière de 2,3 millions de barils par jour. Leur objectif n’était ni la conservation des ressources ni la réduction des émissions, mais le soutien des prix. Sous l’influence des prix défendus par l’Opep, la production pétrolière des pays non membres de l’Opep a augmenté de 6,7 millions de b/j sur la même période. Pour chaque baril laissé dans le sol par l’Opep, près de trois barils d’offre supplémentaire entraient sur le marché ailleurs.
Une grande partie de cette expansion s'est produite aux États-Unis et au Canada, où les coûts de production pétrolière sont parmi les plus élevés au monde. Sans le soutien des prix fixés par l’Opep, une partie, sinon la totalité, de ce pétrole nord-américain ne serait pas exploitable commercialement.
En d’autres termes, l’Opep a protégé ses sources de revenus tout en induisant la production de pétrole ailleurs, perdant ainsi des parts de marché. Peut-être que cette politique de protection des revenus aurait été compatible avec la poursuite des objectifs de l’Accord de Paris si les membres de l’Opep avaient dépensé une plus grande part de leurs revenus pour réduire les émissions et/ou pour accroître la part des énergies renouvelables dans la production nationale d’électricité.
Aucune de ces deux actions ne conforte cette interprétation. Les émissions de gaz à effet de serre (GES) des membres de l’Opep ont en fait augmenté entre 2015 et 2023. La part de l’énergie « propre » dans la production d’électricité de l’Opep a diminué dans quatre États membres et est restée, au cours de la dernière année de référence, inférieure à 2 % dans quatre autres membres. Un seul membre de l'Opep, les Émirats Arabes Unis, a connu une augmentation significative au cours de la même période, principalement due à l'ouverture de la centrale nucléaire de Barakah. La part de l’hydroélectricité du Venezuela varie considérablement en fonction de la disponibilité de l’eau. Comme on pouvait s’y attendre, de nombreux membres de l’Opep consacrent leurs budgets à d’autres priorités, notamment à leurs obligations socio-économiques nationales, plutôt que d’augmenter à outrance leur production d’énergies « propres ».
Il est peu probable que l’Opep renonce à la défense des prix du pétrole dans un avenir proche ou à moyen terme. La baisse du prix du pétrole qui permettrait aux membres de l’Opep de regagner des parts de marché ne serait pas compensée par des gains de volumes. Les revenus de l’Opep diminueraient fortement, ce qui limiterait de nombreuses dépenses, y compris les investissements dans les énergies propres.
Efforts des majors
Quant aux grandes sociétés pétrolières et gazières du secteur privé, les efforts annoncés précédemment pour atteindre les objectifs de réchauffement climatique sont sapés par les récentes annonces. Il y a seulement quelques années, elles se vantaient de vouloir diversifier leurs investissements dans les énergies fossiles vers les énergies renouvelables. Certains ont annoncé des objectifs de réduction de la production pétrolière tout en augmentant la production d’énergies renouvelables. Elles ont cependant fait volte-face récemment.
Les revenus élevés de l’industrie, soutenus par l’Opep, ne sont pas, pour la plupart, investis dans les énergies renouvelables. Ces dernières années, l’industrie a consacré une grande partie de ses flux financiers au paiement de dividendes aux actionnaires, aux rachats d’actions et au remboursement de la dette. Selon l’Agence internationale de l’énergie, les investissements dans les énergies propres des sociétés pétrolières et gazières ont atteint 28 milliards de dollars en 2023, soit moins de 4 % de leurs dépenses en capital et moins de 1 % de leur bénéfice net.
L’impression que nous nous leurrons en pensant que nous pouvons atteindre les objectifs de l’Accord de Paris est renforcée par les difficultés rencontrées par les pays développés pour atteindre un objectif précédemment fixé de 100 milliards de dollars par an en financement climatique pour les pays en développement. Cet objectif, fixé lors de la COP15 en 2009, devait être atteint en 2020. Mais, selon l’OCDE, il n’a finalement été atteint qu’en 2022.
Objectif
de financement de la COP29
L’objectif de 100 milliards de dollars par an est insuffisant. Un consensus sur un nouvel objectif quantifié collectif (NCQG) sur le financement climatique sera négocié lors de la COP29 à Bakou. Un groupe d’experts indépendants estime qu’« au moins 2 400 milliards de dollars d’investissements par an seraient nécessaires d’ici 2030 » dans les marchés émergents et les pays en développement (EMDC), à l’exclusion de la Chine. Les experts pensent que ce financement doit provenir de ressources publiques nationales, du secteur privé, de banques multilatérales de développement et de financements concessionnels.
Réunir ces différentes sources de financement ne sera pas aisé. De notre propre expérience, nous savons à quel point il est difficile pour les investisseurs privés d’accepter les risques élevés liés au lancement de projets dans les pays en développement. Les investisseurs peuvent diversifier certains risques en créant des coentreprises, si possible incluant également des entreprises du secteur public. Le risque politique peut être davantage diversifié si l’entreprise cible une vaste zone géographique comprenant plusieurs juridictions gouvernementales. Le financement initial du secteur public (en montants étonnamment limités) peut être un attrait important pour les investisseurs privés réticents à assumer seuls le risque des études et évaluations initiales requises pour préparer l’autorisation du projet et les approbations réglementaires.
Quel que soit le montant du NCQG convenu lors de la COP29, une grande partie des investissements devra être consacré à l’Afrique, en particulier à l’Afrique subsaharienne. 750 millions de personnes – principalement en Afrique subsaharienne – n’ont toujours pas accès à l’électricité. L’Afrique est loin derrière le reste du monde en matière de développement des énergies renouvelables. Pourtant, le plus grand potentiel en matière d’énergie solaire et éolienne se trouve en Afrique. Et l’Afrique subsaharienne comprend la majorité des pays dans la catégorie des « pays pauvres très endettés » de la Banque mondiale/FMI, éligibles ainsi à une aide spéciale.
Le monde est actuellement sur la voie d’un réchauffement climatique d’environ 2,5°C d’ici 2100, nous ne nous dirigeons donc pas vers l’objectif de 1,5°C de l’Accord de Paris. Nous devons le reconnaître. Néanmoins, si la COP29 parvient à un consensus sur un NCQG généreux, alors le monde reste sérieux quant à la réalisation d’au moins un des objectifs de l’Accord de Paris. Sur cette lueur d’espoir, nous ne nous faisons peut-être pas d’illusions.
John
Gault, Orsières, et Nordine Ait-Laoussine, Genève
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