Mardi 11 octobre 2022, la commune de Val de Bagnes conviait ses citoyennes et citoyens pour une présentation publique de son projet de réaménagement : Curala, espaces de vie. Sur scène, un panel exclusivement masculin. Dans la salle, un public plutôt nombreux, majoritairement grisonnant. La séance commence. Les membres de l’exécutif communal, flanqués des principaux investisseurs vendent en introduction un projet durable sur le plan social, économique et environnemental. Une réponse concrète pour aborder de manière sereine l’évolution démographique, économique et touristique souhaitée pour notre région.
S’en suit l’exposé détaillé du projet. On nous annonce une capacité de :
- 64 appartements ;
- 700 lits hôteliers (200 pour un hôtel standard et 500 en résidence touristique (petits appartements)) ;
- 2'000 m2 de commerce ;
- 2'900 m2 de bureaux et services ;
- 1'170 places de parc (400 places du côté de St-Marc et 770 places en sous-sol du côté de Curala. 30% d’entre elles seront privées et le reste public).
Le tout constitué en cinq « lots » et sur cinq niveaux (deux sous-sols et trois étages) :
- Le lot n°1 qui concerne les trois bâtiments à gauche du départ du Télécabine, sur la place de parc actuelle, côté Sembrancher. Il regrouperait la plus grande partie des appartements.
- Le lot n°2 qui concerne les quatre bâtiments en bois clair, à droite du départ du Télécabine sur la place de parc actuelle, côté Vallée. Il consisterait en une résidence touristique de 500 lits.
- Le lot n°3 en gris minéral, tout au bout à droite du côté de la Vallée. Il abriterait un hôtel d’une capacité d’accueil de 200 lits.
- Le lot n°4 qui concerne les bâtiments d’un haut, côté Villette sous la télécabine actuelle. Il serait constitué d’appartements et de bureaux ainsi que d’une surface commerciale.
- Le lot n°5 dans les prés en dessus des arènes de Probé avec la possibilité d’y construire 4 à 5 petits immeubles. Le nombre d’appartements n’est pas précisé à ce stade.
L’ensemble du projet comprendrait également des magasins, restaurants et commerces ainsi que différentes places de loisirs et de détente. Il intégrerait également un « hub » de mobilité, comprenez un espace dans lequel se rejoignent différents modes de transport (voiture, train, télécabine, piétons et vélos). Les berges de la Dranse seraient également revalorisées sur le plan récréatif et environnemental.
La commune de Val de Bagnes investira 80mio d’argent public en partenariat avec des investisseurs privés à hauteur de 180mio et qui comprend notamment :
- TéléVerbier SA
- TMR
- Mountain Resort Real Estate Fund – Swisspeaks Resorts SA
- Prisma Fondation d’investissement
- La caisse de retraite paritaire de l’artisanat du bâtiment du canton du Valais
- Les caisses de pension de la Construction du Valais et de la Prévoyance Santé Valais
- Les caisses de prévoyance du personnel de l’Etat du Valais et celle en faveur des travailleurs et employeurs du commerce de détail du canton du Valais
La séance de présentation se clôture par les applaudissements des uns et le silence des autres. Selon toute vraisemblance, le projet divise. Bien qu’il soit difficile de connaître l’opinion de la majorité silencieuse, plusieurs personnes prennent la parole. Nous avons essayé ici de vous restituer l’essentiel de ces échanges, de la manière la plus transparente et neutre possible. Toute précision ou rectification est bien sûr bienvenue dans les commentaires.
Q : Le style architectural retenu (absence d’avant-toit) est très moderne et plutôt inédit dans la vallée. Il ne s’intègre pas très bien dans le paysage.
R : Il s’agit d’un choix qui déplaira aux uns, mais plaira aux autres. Notons que les parois seront boisées et que les entreprises de construction seront locales.
Q : Peut-on s’assurer d’une fréquentation optimale, complète et 4 saisons pour les 700 lits hôteliers?
R : Oui, selon les investisseurs, il est prévu que le lieu fasse l’objet d’une moyenne de 70% de taux d’occupation sur l’année, de manière analogue aux sites similaires dans lesquels les promoteurs sont déjà actifs.
Q : La vision proposée pour la vallée n’est-elle pas trop ambitieuse, trop éloignée de ses habitants? Témoignage d’un jeune de Verbier Village qui a vécu le sentiment de se faire happer par la grosse machine touristique de la station et qui craint que le projet favorise une dynamique similaire dans la région du Châble.
R : Le projet est en phase avec les attentes de la population en matière de logement et alignée sur les projections démographiques de la commune. Il s’agira par ailleurs de logements essentiellement locatifs, ce qui devrait limiter la spéculation.
Q : Quel avenir pour l’abattoir?
R : L’abattoir est appelé à être déplacé pour différentes raisons. La commune n’est pas directement en charge du projet, qui est essentiellement du ressort des principaux utilisateurs de l’infrastructure. A eux de se mobiliser efficacement autour du projet.
Q : Le projet intensifiera le trafic automobile à travers le Châble. Quelle solution est prévue pour le flux routier menant aux villages du haut de la vallée en passant par le Châble, en particulier qu’en sera-t-il du goulot près de la boulangerie de la Poste, qui est dangereux et peu optimal ?
R : La commune est consciente de ce problème, mais ce n’est pas ce dont nous parlons ce soir et l’on ne tente pas de répondre à cette problématique par le projet Curala.
Q : Comment envisagez-vous la problématique du flux routier notamment aux abords de Sembrancher ? Les bouchons sont déjà fréquents à l’heure actuelle. Le flux de voitures généré par ce projet, additionné au développement des zones industrielles d’Etiez et de Sembrancher ne devrait-il pas charger plus encore la circulation?
R : Au cœur de ce projet, nous voulons revaloriser les transports publics. Par ailleurs, une étude sur la fluidité routière démontre que la circulation devrait rester bonne.
Q : Comment envisagez-vous la revitalisation du cours d’eau de la Dranse?
R : La renaturalisation se fera dans les standards légaux applicables et en collaboration avec un bureau d’étude spécialisé. Elle devrait essentiellement se concentrer sur les berges.
Q : Le parking sera-t-il gratuit ou payant?
R : Au regard de la pratique en vigueur dans d’autres stations des Alpes, le parking deviendra payant pour tous. Le prix du stationnement reste cependant encore à définir.
Q : Pourquoi aborder le développement du lot n°5, qui est encore très abstrait à ce stade et qui ne correspond pas à un besoin immédiat?
R : On le prévoit déjà dans le cadre de la révision du plan d’affectation de zone, mais comparé aux autres lots celui-ci ne sera pas réalisé dans l’immédiat. Le début des travaux pour les premiers lots est projeté à 2026.
Q : Qu’en est-il des logements protégés (pour les personnes âgées et/ou à mobilité réduite)?
R : Il n’existe pas de logements protégés en tant que tel. Nous proposerons des appartements standards, mais qui pourront être modulé au besoin pour accueillir des personnes à mobilité réduite. Ces appartements sont pensés pour s’adapter à l’éventuelle perte de mobilité de leur locataire.
Q : Qu’en est-il des appartements à prix dits modérés?
R : On pourrait en assurer 20% - (ndlr : donc 12 appartements sur les 64 prévus) - mais sans aucune garantie de ce que signifie prix modérés, si ce n’est que l’investissement proposé ici en partenariat public-privé permet de penser un peu moins au rendement financier.
Après 45’ environ, le temps des questions se termine. Place à l’apéro.
De notre côté, nous sortons plutôt mitigés de cette rencontre. Si le projet semble globalement convaincant, pour nous, les questions restent nombreuses.
Sur le fond :
Pourquoi avons-nous besoin d’un tel projet ? Un réaménagement de la zone du départ des cabines et de la gare ne serait-il pas suffisant ? Le travail manque-t-il dans la vallée ?
Quelle place la population est-elle appelée à occuper dans ce projet ? Ses préoccupations seront-elles entendues et prises en compte au-delà des séances d’information ?
Pourquoi la commune n’avancerait-elle pas plus lentement et de manière plus sobre et plus indépendante dans le cadre du développement de cet espace ? Les finances communales pourraient-elles permettre un projet en mains publiques ? Plutôt que d’imaginer et de sortir de terre un immense projet au côté d’investisseurs, n’aurait-on pas avantage à réserver la place de Curala à un agrandissement gradué au fil des prochaines décennies ? La population pourrait alors rester pleinement souveraine et piloter ce développement au fil de ses besoins dans le temps.
Au-delà des belles formules, ce projet prévoit-il réellement une revalorisation de son environnement ? De quelle manière ?
Sur le plan économique :
Ce site (outre sa construction) générera-t-il vraiment le type d’emplois que recherche la jeunesse bagnarde ? Ou générera-t-il plutôt des perspectives pour des entrepreneurs étrangers et des travailleurs saisonniers du commerce, de l’hôtellerie et de la restauration ?
Le projet est présenté comme une nouvelle offre de logement pour la population locale. Or le site est situé directement au pied des remontées mécaniques de Téléverbier. Cette proximité avec les remontées constitue un atout important sur le plan immobilier. À terme, ces appartements ne seront-ils pas pris d’assaut par des personnes domiciliées hors-canton à la recherche de résidences secondaires proches des pistes ? N’y a-t-il pas un risque de générer des lits froids aux prix prohibitifs pour les gens de la commune ?
Un des arguments présentés est celui de l’absence de « lieu de rencontre » dans la vallée. On nous dit que les places villageoises du Châble ou de Vollèges sont actuellement désertées et que Curala deviendrait un nouveau lieu de vie sur la commune. Certes, mais pourquoi ne pas chercher à les revaloriser davantage le centre de nos villages plutôt que de créer de nouveaux espaces centralisés qui transformerons un peu plus nos localités en cités-dortoirs ?
En définitive, le projet de Curala n’est-il pas une goutte d’eau supplémentaire qui augmentera l’attractivité de notre région (par ailleurs déjà mondialement reconnue) au détriment de notre identité locale, de nos agriculteurs et des jeunes poussés hors de la vallée par la spéculation immobilière ?
Sur le parking :
Quel intérêt la population de la vallée a-t-elle à la suppression d’un parking gratuit ? Le parking actuel est certes peu esthétique, mais il est pratique et économique. Il profite effectivement à la population des villages voisins lorsqu’elle souhaite se rendre au Châble ou à Verbier. Inciter les touristes venant des grands centres urbains à prendre les transports publics est une bonne idée. Toutefois, se déplacer en transports publics est moins aisé sur le plan local. En définitive, cette approche de parking payant condamne les gens des villages à payer leur stationnement. Une démarche qui affectera en premier lieu les personnes à bas revenu dans la vallée.
Avec un parking payant, le ski sera encore un peu moins abordable pour nous tous. Dès lors, pourquoi ne pas proposer la gratuité du parking pour les personnes domiciliées sur la commune ?
La gratuité du parking est également une incitation à laisser son véhicule au Châble pour les gens se rendant à Verbier. Ne devrait-on pas au contraire revaloriser la gratuité du parking pour permettre à terme de désengorger la station ?
En définitive une question essentielle demeure, ce projet est-il vraiment celui du Val de Bagnes ? ou uniquement d’une poignée de ses décideurs ?
Il nous est utile de préciser que nous comprenons bien entendu le besoin de développer l’espace de Curala, peu esthétique dans son ensemble. Partant, nous ne nous opposons pas au principe de base de réimaginer cet espace et profitons de ces quelques lignes pour remercier et féliciter toutes les personnes qui pensent, réfléchissent et avancent des projets innovants pour l’avenir de notre région. Pourraient-ils cependant et également être proche de la réalité et des besoins de ses habitantes et habitants, cohérent et réellement durables sur le plan social, économique et environnemental ? Nous avons conscience que beaucoup d’intérêts et d’enjeux doivent être pris en compte, mais la finalité en vaut largement la réflexion.
Bastian Moulin, conseiller général
Roxanne Giroud, députée suppléante
Trop souvent ce genre de projets se révèlent de devenir des machines à sous! Rarement rentables, souvent beaucoup trop coûteuses. Observant le développement de Herbier et Bagnes depuis les années 60, beaucoup à été bien fait et malheureusement il y ue des cartons invraisemblables comme bâtiment Migros, pleins de sentiers qui ressembles à des autoroutes pour piétons, sans parler des divers scandales liés aux réalisations de projets monstres, avec le seul bute d'en tirer un gain financier maximal.
RépondreSupprimerBravo pour ce résumé si bien écrit !
RépondreSupprimerJ aime bien la conclusion qui reflète, je pense , le sentiment de beaucoup d habitants de la commune ... a-t-on moyen d agir concrètement pour faire bouger qqch ? Ou sommes-nous simplement spectateurs de ce projet ?
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