1 août 2018

Le discours du premier août

Le discours prononcé hier soir à Liddes par Mathieu Bessero, invité au nom de la municipalité par Basile Darbellay.

Meine Damen und Herren, Ragazze e Ragazzi, Bonsoir, Buna saira

C’est un vrai plaisir d‘être à Liddes en cette veille de fête nationale pour partager ensemble notre suissitude, ou plutôt devrais-je dire, nos suissitudes. Car qui de plus habitués que nous, habitants d’Helvétie, pour comprendre le concept de la différence et de la pluralité. Cette pluralité qui nous colle à la peau comme les poils aux mollets des vieux Suisses. Cette pluralité qui fait de nous une confédération composée de 26 états. Cette pluralité qui nous permet d’organiser un voyage linguistique autour d’une seule brique de lait. Cette pluralité que nous dressons comme un étendard, que nous défendons dare-dare à chaque coin de comptoir.

Combien de fois dit-on fiers et goguenards :

Nous, on n’est pas comme eux / 
Regarde voir ceux-ci ! Ecoute-les voir / 
Nous pour ça on est meilleur / 
Entre eux et nous y a quand même une monstre différence / 
Celui d’à eux je bois pas, moi je préfère le nôtre /

On est rarement radin avec nos petites piques, relevant du folklore et d’une pointe de racisme, primaire certes, mais néanmoins réconfortant pour celui qui le dit. Cependant, il est vrai, concédons-le, chacun d’entre nous connait tout de même un Suisse-allemand marrant, une Vaudoise décomplexée, une Orseraine sympathique et un Fuillerain malin. Ou en tous cas, Grand-père en connaissait un dont il avait entendu parler.

Et malgré tout, ce soir et demain, habitants des quatre coins de la croix, nous nous rassemblons sous le même drapeau et comme par enchantement, nous appartenons tous au même groupe, à cette même nation, cette belle famille fédérale, fière d’elle-même malgré ses différences.

Malgré nos visions personnelles, nos partis politiques, nos langues respectives. Malgré nos différentes appréciations sur le port des Birkenstock avec ou sans chaussettes.

Malgré cela ce soir nous sommes unis, réunis. Ce soir, sur nos monts, le soleil nous annonce un brillant réveil. Et les doux rayons du soir rendent nos cœurs joyeux et laissent monté jusqu’aux cieux leurs accents émus.

Ce que j’aimerais retenir de la Suisse, c’est cette esprit de communion, cette association d’états, ce regroupement d’humains soudés. Cette idée d’un ensemble possible et si riche.

Et chaque fête nationale m’amène cette réflexion. Pourquoi et comment former un ensemble, un groupe ?

Il y a deux manières fondamentales d’entendre, d’étendre ou de restreindre un groupe. Et quelle que soit les circonvolutions que l’humanité tente d’imaginer pour inventer de nouveaux systèmes, elle retombe toujours sur celles-ci.

La première est l’exclusion : par l’affirmation de nos différences vis-à-vis des autres, par le choix d’un ennemi commun, par le refus des éléments ou des individus ne rentrant pas dans un protocole donné.

La seconde est l’assimilation ou l’inclusion : par un projet collectif, par une volonté solidaire, par la mise en commun des efforts et des compétences, par l’accueil, par l’ouverture, par fraternité humaine ou par charité.

L’histoire nous a appris, et nous l’apprend encore, les conflits, la stigmatisation, l’exclusion n’amènent de la violence. Et la violence, toujours, laisse derrière elle la mort, les écorchures et la tristesse. Marignan, dont nous sommes si fiers et que nous adorons entendre ou jouer, Marignan devrait nous le rappeler à chaque fois que nous l’écoutons. Marignan ce n’est pas qu’une marche militaire entrainante ou une date facile à retenir pour les écoliers, c’est avant tout une bataille effroyable, une bataille menée pour rien qui plus est, puisque ni la France, ni la Suisse ne sont plus en possession ni de Milan ni de ces alentours, Marignan c’est 16 heures de combat et 16'000 morts, soit plus de 16 êtres humains tués à la minute. Marignan c’est une véritable boucherie. Et si mes mots avaient été aussi meurtriers que des hallebardes suisses et des canons français épaulés par une cavalerie vénitienne, il n’y aurait plus aucun survivant sur la place de Liddes à cet instant même.

Marignan joué ce soir, ce devrait être un instant de méditation pour chacun d’entre nous. Ce devrait être un appel à enterrer nos haches de guerres, grandes ou petites, ancestrales ou fraichement nées. Ça devrait l’être. Ça devrait au moins être le temps d’un temps pour soi à penser aux conséquences de nos conflits, de nos prétentions, de notre esprit de conquête ou de revanche, aux conséquences des nombreuses blessures que nous affligeons aux autres, aux fossés que l’on met entre nous, aux barricades que nous dressons, aux portes que l’on ferme et aux personnes que nous laissons dans la tourmente de nos certitudes. Rien n’est plus grave que la violence, rien n’est plus douloureux que l’exclusion. Rien et pourtant…

La Suisse, ma Suisse, c’est 3, puis 8, puis 13, puis 22 et enfin 26 cantons. C’est une Suisse qui ne doit pas oublier d’être solidaire, une suisse qui ne doit pas oublier ses frères humains, enfants du pays ou non, c’est une Suisse qui doit permettre à chacun de s’exprimer, de vivre, d’aimer et de prier comme bon lui semble, c’est une Suisse qui ne doit pas se refermer sur elle, c’est une Suisse qui peut être fière, mais sans l’être trop, c’est une Suisse qui s’engage de manière durable pour la gestion des ressources à l’image de nos meilleurs consortages, c’est une Suisse qui coopère, une Suisse pionnière, une Suisse qui contribue au dialogue, une Suisse en paix, une Suisse qui ce soir fête sa complexité, cette complexité dont elle sait faire une richesse.

La Suisse est une portion de Terre sur laquelle je suis heureux de vivre. Et je m’applique tous les jours à la respecter et à respecter les gens qui y habitent.

Alors qu’on lève haut notre drapeau, qu’on ouvre large nos cœurs et qu’on boive à notre santé et à celle de tous ceux qui nous entourent. De ceux qui nous ont précédés et de tous ceux qui nous suivront encore.

Que vive la Suisse, le Valais et que vive encore longtemps ce bel Entremont si cher à mon cœur.

Mathieu Bessero

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