3 janvier 2013
De la confusion entre identité et origine
«Rien de plus sot que cette notion de citoyen du monde»
Maître Bonnant, Vigne à Farinet, octobre 2009
Permettez-moi,
Maître Bonnant, de prendre au bond cette citation sortie délibérément
de son contexte comme point de départ de ma réflexion. Je connais tous
les risques qu’il y a à extraire d’une phrase orpheline une pensée
prétendument édifiante et définitive, c’est pourquoi les lignes qui
suivent ne sauraient être tournée directement contre le discours que
vous tîntes dans cette vigne étant à l’origine de davantage de
reportages que de bouteilles, mais plutôt contre l’idée répandue que
l’homme appartient à une terre, fût-elle fertile.
Je
ne parviens pas à fixer précisément le moment où cette mythologie de
l’alma terra fit son irruption dans notre paysage rhétorique moderne.
Peut-être est-ce là la preuve qu’il faille, comme lors de toute enquête
qui se veut respectable, chercher les prémices de ce phénomène dans
l’antique Grèce, ce qui aurait comme insigne avantage de revêtir notre
raisonnement des apparats de l’académisme, mais qui ne lui conférerait
malheureusement en aucune manière la garantie d’une plus grande
pertinence. Une chose est certaine cependant, c’est que la médecine
hippocratique, fondée sur l’idée de l’existence de quatre humeurs étant
le résonance intracorporelle des éléments composant l’univers, définit
clairement un type de maladie lié à la terre et plus précisément au
climat. D’après cette vision de l’homme et de l’univers, l’être humain,
en naissant dans une région particulière, verrait une sorte de connexion
entre sa composition psycho-physique et le climat (ou l’environnement)
l’entourant. Il serait, pour ainsi dire, composé des mêmes éléments, aux
mêmes proportions, que la terre dont il est issu. Ainsi, plusieurs
personnes définissent le Heimweh non plus comme un trouble mélancolique,
mais comme un réel trouble physique provenant de la non-adéquation de
la personne avec son environnement, une sorte d’asymétrie, de
disharmonie entre les humeurs composant la personne et les éléments
composant l’univers. Cette vision de la médecine a été largement
majoritaire jusqu’au milieu du XIXe siècle, et cela malgré les Lumières
du siècle précédent qui vantaient une approche plus empirique, j’en veux
pour preuve les pratiques de la saignée ou de la sudation qui avaient
comme objectif de rétablir le fragile équilibre humoral au sein de
l’organisme.
De
cette idée de dépendance de l’individu par rapport au climat dans
lequel il évolue est née une idée qui a malheureusement eu une certaine
popularité au début du XXe siècle voulant que les climats étant
manifestement différents de part et d’autre de la planète, il en aille
de même des hommes; et de la même manière qu’on classa les climats selon
leur type, on catégorisa les hommes selon leur race.
Dans
un mouvement parallèle à celui de la médecine antique, les philosophes
se sont interrogés dès l’Antiquité sur une manière de surmonter l’aporie
qu’ils percevaient très bien dans la conception du monde à partir de
quatre éléments fondamentaux qu’Hippocrate avait reprise d’Empédocle
d’Agrigente. Le but était de dépasser cette vision physionomiste du
monde - qui ne pouvait mener qu’à une comparaison entre les hommes et,
de là, à une volonté de domination des uns sur les autres - afin de
relever plutôt ce qui fait l’unité de la nature humaine. Diogène de
Sinope, aussi appelé le Cynique, émet l’idée d’une universalité de cette
nature humaine. Il invente alors l’expression de cosmopolite que l’on
connaît plus précisément sous le nom de «citoyen du monde». Selon
Diogène, il est évident que tous les êtres humains partagent une essence
commune, que tous participent de cette essence, sans pour autant en
perdre les particularités propres à leur incarnation spatio-temporelle.
Les Stoïciens rejoignent Diogène dans sa réflexion, car, les premiers,
ils systématisent une pensée de l’égalité ontologique entre les hommes.
Cette
conception cosmopolitique ne s’est ensuite jamais éteinte, malgré un
certain nombre de siècles durant lesquels elle est clairement
marginalisée, pour ressurgir étonnamment dans la philosophie
existentialiste qui postule cette fois une identité de condition entre
tous les êtres humains. Au niveau politique, le cosmopolitisme a
accouché de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du
citoyen et, à n’en pas douter, Zénon et Erasme n’auraient pas retiré une
seule virgule à ce texte qu’ils ont inconsciemment contribué à
élaborer.
Il
est intéressant de noter que le cosmopolitisme a été qualifié «de
projet juif» par les régimes totalitaires du XXe siècle, par de
brillants tortionnaires comme le docteur Goebbels ou Staline. Le régime
nazi s’est appliqué à supprimer le soit-disant complot du «Nouvel Ordre
Mondial» attribué aux Juifs, essentiellement parce que ce dernier
postulait une égalité fondamentale entre les hommes.
De
nos jours, la médecine hippocratique a bien évidemment été abandonnée
au profit de la médecine expérimentale, mais il n’en demeure pas moins
que son corollaire anthropo-climatique reste présent dans l’imaginaire
populaire; le célèbre autocollant «Fier d’être Valaisan» semble être
aujourd’hui encore la manifestation la plus claire de cette confusion de
l’identité et de l’origine.
Le
cosmopolitisme (la notion de «citoyen du monde») est justement cette
doctrine qui postule l’égalité entre les êtres humains comme fondement
de toute société, sans pour autant nier la particularité de chaque
individu. On retrouve ici précisément Diogène. Quand vous affirmez
Maître Bonnant qu’il n’y a rien de plus sot que cette idée de
citoyenneté mondiale, vous insistez - j’ose le croire - sur la
nécessaire participation de la réalité individuelle à la communauté
mondiale par opposition à un cosmopolitisme idéologique qui nierait la
réalité des éléments qui le composent.
Les
pseudos-débats politiques auxquels nous assistons aujourd’hui et qui
tendent à placer en absolu l’appartenance à une terre ou à une nation
comme facteur déterminant d’identité oublient - ô funeste oubli - que
l’espèce humaine se construit plutôt dans une recherche de cohérence et
d’identité que dans une mise en évidence des défauts d’autrui.
J. Lovey
1 commentaire:
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Bravo cher Josué pour ton analyse pertinente des réflexions "Bonnardiennes"!
RépondreSupprimerJ'ai toujours prétendu être citoyenne du monde,et valaisanne d'adoption mais,après lecture de ce foisonnement épistolaire, je comprend enfin, pourquoi même après plus de 40 années de vie dans notre valais, les "fiers" natifs de notre canton, font un rejet systématique de tout exo-citoyen !