1 août 2019

Racisme trop ordinaire

J’ai depuis longtemps appris à rire des publications sur les réseaux sociaux issues des milieux d’extrême droite. Mais il en est une, récente, qu’il aurait été intolérable de laisser sans réaction. D’abord parce qu’elle émane du compte d’un président de section de parti entremontant, de surcroît candidat aux fédérales de cet automne, deuxièmement parce qu’elle est particulièrement choquante et intolérable.
Adrien Dumoulin, qui est donc président de l’UDC Entremont, réagit à un article du 20 minutes qui traite du décès d’un enfant en Allemagne, poussé sur les rails avec sa mère (cette dernière s’en étant sortie) par une personne d’origine africaine. Il y ajoute le commentaire suivant: “L’enrichissement culturel, le progrès.”

La rage m’a submergé d’un coup à la lecture de cette publication. Parce qu’elle est simplement raciste.
Alex Sutter, codirigeant de l’association humanrights.ch, nous donne une définition claire du racisme. Il y intègre “ toute pratique qui discrimine, blesse, menace, calomnie en raison des caractéristiques culturelles (telles que la langue, la religion, le style de vie ou le nom)”. Il ajoute que le racisme culturel contribue à construire une identité de groupe, à diviser les individus en communautés d’origine, à attribuer aux membres de ces communautés imaginaires une culture et une mentalité communes, et finalement, en se fondant sur ces stéréotypes fabriqués, à hiérarchiser ces groupes et à prôner leur incompatibilité.

Par son commentaire, Adrien Dumoulin affirme clairement qu’il existe un groupe, constitué des personnes issues d’origine africaine, et que ces personnes sont culturellement incompatibles avec les valeurs occidentales. Pire, il corrèle directement un acte criminel, un meurtre (!) avec l’origine du coupable. Comme si sa culture impliquait cet infanticide.

C’est d’une part dénigrer, avec le plus haut degré de mépris et de méconnaissance imaginable, une certaine culture. Est sous-entendu que la prétendue “culture africaine” est primitive, amorale, sauvage, animale. Une vision qui est encore, à des degrés divers, trop présente dans l’esprit des occidentaux. On construit une image de l’autre fantasmée et dégradante. Je renvoie les lecteurs de cet article aux auteurs des études post-coloniales.

Et d’autre part c’est construire un amalgame aberrant: premièrement parce que les cultures africaines sont évidemment multiples - on parle d’un continent de plus de 30 millions de km2 et de plus d’1 milliard 200 millions d’habitants (donc dans les deux cas beaucoup plus que l’Europe). Et surtout deuxièmement, on sous-entend qu’1’200’000’000 d’individus doivent répondre des actes d’un seul. 

Je sais, les paragraphes précédents sont peut-être peu clairs. Mais il y a beaucoup trop de biais cognitifs à relever dans une simple phrase d’Adrien Dumoulin …

Et si seulement son cas était isolé. Mais comme je l’ai dit en introduction, ce genre de commentaire fleurit sur les réseaux sociaux, et donc dans l’esprit d’une certaine catégorie de personnes - car s’il faut construire une catégorie, ce n’est pas celle des “Africains”, mais bien celle de ceux qui propagent la haine. Afin de tenter de comprendre ce qui les amène à penser ainsi pour combattre ce genre de théories. Mais c’est une autre question. Les propos racistes qui ont suscité cet article ne sont donc pas spécialement originaux, ce qui explique en partie le succès électoral du parti de Mr. Dumoulin au niveau national.

Mohamedou, professeur d’histoire internationale au Graduate Institute de Genève parle de ce fléau dans Le Temps en septembre 2018. Il affirme que la parole raciste s’est libérée ces dernières années, se faisant passer pour une opinion légitime. Comme si elle valait un autre point de vue. Comme s’il s’agissait d’un droit démocratique. Pour le professeur, certaines “élites” politiques ou intellectuelles servent à légitimer cette conception, à l’image de Donald Trump ou d’Eric Zemmour. On assiste à une “banalisation sociétale” qui est extrêmement dangereuse. Le racisme est à nouveau acceptable.

Ce phénomène se mêle à l’évolution des politiques d’immigration européennes, comme relevé par Tsoukala (2002) (1). Ces politiques poursuivent de plus en plus une logique sécuritaire, l’immigration étant désignée comme cause aggravante des principaux problèmes de nos sociétés, malgré l’avis contraire de nombre d’analyses scientifiques. On se concentre alors de moins en moins sur les individus coupables de crimes, mais sur des groupes sociaux (ici l’immigration), par la même dissociant l’acte criminel des réels motifs des malfaiteurs. Comme le relève toujours très bien Tsoukala, on ne vise plus à contrer des individualités qui ont effectivement commis un crime, mais à anticiper des comportements de “membres de groupes déviants” ou “à risque”. En d’autre termes, on vise à contrôler des populations entières à cause des risques qu’elles représentent soit disant, au lieu d’individus en fonction de leur dangerosité avérée.
Le risque est aussi d’oublier les réels mobiles ou causes contextuelles des crimes perpétrés, je le répète, par des individus et non une communauté, ce qui est pourtant nécessaire pour les combattre.
Le genre de propos tenus par Dumoulin sont à la fois une conséquence et une cause de ce problème. 

Finalement, quand on partage publiquement une opinion infondée, on ne peut éluder la question de sa réception. Les personnes d’origine africaine ne sont pas un conte pour faire peur aux enfants, ce sont des personnes qui existent vraiment et qui risquent de tomber sur des propos que l’on partage via Facebook. Il m’a donc semblé légitime que certains d’entre eux prennent la parole dans cet article: 

Rock Ahavi

Rock Ahavi, musicien, chanteur et lead guitariste du groupe Arka’n, Togo“Je suis très ancré dans ma culture et ma tradition, et je n'ai jamais eu écho d'une pratique culturelle qui demande à pousser des gens sous des trains. J'ai cherché dans bon nombre d'autres cultures africaines et je n’ai trouvé un seul peuple qui pratique comme activité récréative de pousser des gens sous des trains, ni même de tuer. L'âme vraie de l'Afrique (avant l'arrivée d'autres façons de voir les choses) est basée sur le respect de l'environnement, le respect de la terre, des plantes, des animaux et des hommes: sur une connexion spirituelle globale. Et ôter la vie n'est pas un acte anodin. Pour revenir à l'article, dans toutes les races du monde il existe des génies, des sages, des guerriers, des fous, des meurtriers, etc... Quand j'ai vu cette publication sur Facebook, un homme qui pousse une femme et son enfant sous un train, et ce monsieur, qui, visiblement a encore beaucoup à apprendre, en profiter pour poster un commentaire raciste... Toute proportion gardée, ces deux actes sont complètement étrangers aux vraies valeurs connues de notre humanité. Je crois que notre espèce est en pleine descente dans un gouffre. Et ce n'est pas un concept qui prône le rejet de l'autre qui sauvera qui que ce soit. Nous sommes en 2019!! Il y a internet, l'information est disponible partout. Il est temps pour nous tous de nous informer, de comprendre la véritable cause des problèmes que nous avons et d'envisager de réelles solutions. L'approche raciste est franchement très bête, vulgaire, dépassée et suicidaire.”


Djibril Niang
Djibril Niang, étudiant en master aménagement urbain, Université Cheikh Anta Diop, Dakar“Le racisme c’est le vers qui ronge le fruit de l’intelligence. Le racisme est fait de peur et d’ignorance. Le raciste est à la fois le danger et la victime. Une victime de ses travers qui devient bourreau de l’autre. Rappelons les paroles de Martine Brunshwig Graf: “ combattre le racisme et les discriminations, c’est défendre les valeurs qui ont fait la Suisse”. Je n’ai pas été surpris par ce commentaire raciste. Je déplore cependant qu’on blâme une communauté pour l’acte d’un seul homme. Si ça ne m’a pas étonné plus que tant, c’est quelque chose qui m’a quand même profondément choqué”.

Abdoulaye Sow
Abdoulaye Sow, étudiant en Licence 3 géographie, Université Cheikh Anta Diop, Dakar“Nous avons été créés égaux. L’humain a inventé le racisme, à cause de son ignorance. Le racisme n’est qu’un question d’ignorance et de haine. A la lecture de cette publication, c’est de l’amertume et de la tristesse que j’ai ressenti. Mais l’acte commis par un frère africain m’a fait me sentir encore plus mal.”

Cheikh Oumar Kane
Cheikh Oumar Kane, étudiant en licence de droit, Université Cheikh Anta Diop, Dakar“ Le commentaire sur cette publication Facebook m’a touché et m’a déçu. Les déclarations racistes fleurissent dans la presse. Aujourd’hui, nous ne pouvons plus regarder la justice tempérer. La vie ne doit pas être une compétition, mais une entraide mutuelle. L’homme doit être un remède pour l’homme, et non un loup comme le veut l’adage. Ensemble, faisons appel à notre bienveillance et notre générosité.”

Alioune Kane
Alioune Kane, étudiant en licence de géographie, Université Cheikh Anta Diop, Dakar
“Je condamne cet acte barbare qui a lieu en Allemagne. Mais nous devons dépasser aujourd’hui ces conceptions racistes et trop simples. Nous vivons dans un monde complexe et sensible. Que justice soit faite, nul n’est au-dessus de la loi.”


Ibrahima Diakhate, étudiant en licence de physique et chimie, Université Cheikh Anta Diop, Dakar
Ibrahima Diakhate
“A chaque espèce vivant sur terre, dans l’air, ou dans les eaux nous pouvons compter une multitude de familles. Ces familles ont bien évidemment des points communs qui les rendent différentes des autres au sein de la même espèce. Avons-nous déjà vu des animaux d’une même espèce et aux couleurs de peaux différentes se battre pour exprimer une quelconque supériorité? Si même les animaux ne se créent de frontières par leur couleur quand doit-il en être pour nous humains dotés d’une intelligence bien supérieure. Ceci étant nous pouvons donc percevoir à travers ce phénomène répandu sur toutes les espèces qu’il n’existe en aucune façon et sur aucun plan une condition de supériorité entre nous humains aussi divers que nous soyons. Nous devons par-là, comprendre qu’une race toute entière ne peut détester une autre, mais que ces pensées néfastes n’émanent que des personnes mal intentionnées créant des doctrines nocives à l’entente et le bien être des peuples.”

Affirmer qu’un acte criminel est culturel est lourd de sens et extrêmement grave.

Patrice Lumumba, Cheikh Anta Diop, Nelson Mandela, Sélassié, Marcus Garvey, W.E.B Dubois s’en retournent plus que certainement dans leur tombe.

Dans un Etat de droit, dans une démocratie, il faut laisser la justice faire son travail, à savoir dans ce cas juger un individu pour ses actes. Il ne revient en aucun cas à un UDC entremontant lambda de faire le procès d’une communauté entière, pire, de la population d’un continent entier.

Et qu’en est-il des “personnes d’origine africaine” qui apportent quelque chose de positif à notre société? Leur cas ne mérite-t-il pas une publication Facebook parlant de la culture africaine? Je terminerai en appelant M. Dumoulin (ainsi que Messieurs Pellouchoud et Desmeules qui ne se sont pas non plus retenus de nous partager leur analyse sur la question) à aller s’informer sur le nombre d’enfants qui pâtissent des activités occidentales sur le territoire africain. Après tout, l’exploitation est peut-être bien ancrée dans la culture blanche.

Baptiste Fellay
Député-suppléant EA


1) Tsoukala Anastassia, « Le traitement médiatique de la criminalité étrangère en Europe », Déviance et Société, 2002/1 (Vol. 26), p. 61-82. DOI : 10.3917/ds.261.0061. URL : https://www.cairn.info/revue-deviance-et-societe-2002-1-page-61.htm

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