12 février 2018

Pourquoi je suis opposé à No Billag.


Je ne suis pas satisfait du système de financement de la radio et de la télévision publiques en Suisse. En tant qu'homme de gauche, je ne le trouve pas assez juste, les personnes issues de toutes les couches sociales étant contraintes par la loi de débourser le même montant.

Je serais donc pour que l'on débatte de la réforme de ce système, et c'est pour cela que le 4 mars prochain, je voterai non à l'initiative dite « No Billag ». Si elle était amenée à passer, elle tuerait en effet dans l’œuf toute discussion sur le sujet, puisque tout financement public de la part de la Confédération serait simplement interdit. Car si le système de financement ne me convient pas totalement, le maintien d'un service public fort et de qualité me paraît nécessaire.

En tant que patriote d'abord.
La Suisse est composée de quatre régions linguistiques, qui ont leur identité propre et qui font la richesse culturelle de notre pays. Mieux, chaque canton peut se vanter de posséder sa culture, sa mentalité et sa vision du monde. Si l'initiative « No Billag » passe, nous abandonnons la présence d'une radio et télévision suisses pour les minorités linguistiques, à savoir les rhéto-romanches, les Tessinois mais aussi les Romands. Il n'y a pas besoin d'être un génie, Blocher le reconnaît lui-même, pour réaliser que le bassin économique romand n'est pas assez grand pour attirer les investisseurs et permettre à une télévision 100 % romande, financée par la publicité ou par des abonnements, de subsister. Voter oui à « No Billag » c'est donc laisser le marché libre de toute concurrence helvétique aux grosses chaînes étrangères, françaises, peut-être belges, et italiennes, déjà présentes. Nous pouvons dès lors nous faire du souci pour la « suissitude » des générations à venir. Les chaînes publiques sont en effet des instruments de cohésion nationale forts.
Une cohésion nationale qui passe par exemple par le sport: le service publique permet aux Suisses de toutes les régions de se retrouver derrière nos athlètes en oubliant, l'espace d'un match de la Nati par exemple, nos différences culturelles. Qu'est-ce qui rapproche plus un Zurichois d'un Valaisan qu'une finale de Roger ou Stan un dimanche matin? Qui n'a pas une image en tête de Stéphane Lambiel qui remporte les mondiaux ou d'un Simon Amman couronné de son quatrième titre olympique? La redevance nous permet à tous de vibrer, ensemble, devant un sprint final de Cancellara ou d'avoir des palpitations lorsque, en déplacement à l'étranger, on reçoit une notification de la RTS nous annonçant la victoire de Feuz au Lauberhorn. Les chaînes étrangères ne vont pas forcément diffuser ces événements et ce n'est en tout cas pas leurs commentateurs qui vont pleurer sur une victoire de Thomas Lüthi.

Mais s'ils sont unis derrières leurs sportifs, les Suisses apprécient aussi l'offre des télévisions régionales qui leur donne accès à une information plus locale et spécifique à leur région. Or ces chaînes disparaîtraient tout simplement et je ne vois pas qui pourrait reprendre le flambeau de l'information locale: à nouveau ce ne seront ni les chaînes étrangères, ni des chaînes privées qui viseraient les recettes et donc un publique le plus large possible.

Accepter de supprimer la redevance c'est donc assassiner une force au service de l'unité et de l'égalité des tous les Suisses.

Je m'oppose à « No Billag » en tant que patriote. Mais j'admets que c'est un argument qui dérive directement d'un aspect émotionnel et qui n'est pas le plus rationnel ni le plus pertinent. Je ne vais donc pas arrêter ici mon argumentation.

Je m'oppose aussi à cette initiative en tant que politologue.
En effet, la Suisse est une démocratie directe. Le monde entier le sait et le citoyen helvète y est très attaché. Il en est très fier car ce système politique est performant. Malgré quelques dérives ces dernières années, le peuple suisse a maintes fois prouvé qu'il était sage et qu'il savait prendre les bonnes décisions. Le service public est un pilier de notre démocratie directe. Les Suisses ont besoin d'un canal d'information et de débats objectifs avant d'arrêter leur choix sur quelque objet. Si le service public disparaît, pourra-t-on compter sur les médias étrangers pour traiter des sujets de société ou d'actualité suisses? Certainement pas. Quant aux éventuelles chaînes privées suisses, je pense que leur laisser prendre le relais de la SSR à ce niveau est extrêmement dangereux. Il ne faut absolument pas que ce devoir de construction de l'opinion ne tombe entre les mains d'intérêts privés, sous peine que ce devoir ne se transforme en redoutable pouvoir. A mon sens, cette initiative est donc dangereuse pour notre démocratie.

Finalement, je m'oppose à cette initiative en tant que musicien.
Le but des chaînes privées est de faire du profit. Elles n'ont donc aucune raison de prendre des risques au niveau de la programmation musicale. On se dirige vers la disparation pure et simple à l'antenne de certains styles, à savoir le classique, le jazz ou les musiques plus avant-gardistes par exemple. Même dans les genres musicaux plus populaires, une immense palette d'artistes disparaîtrait de nos ondes: c'est une programmation dictée par le marché de la musique capitaliste qui s’offrirait à nous. Personnellement, je ne suis pas prêt à me coltiner du Ed Sheeran ou du Despacito à toutes les sauces. Sans blâmer les gens à qui cela convient, j'estime que l'offre musicale se doit d'être plus large, au nom de l'épanouissement intellectuel de chacun, si non quoi nous vivrions un véritable suicide culturel. Il nous faut parler aussi des productions suisses, musicales ou audiovisuelles. Dans mon propre pays, je veux entendre de la musique suisse à la radio, voir des productions suisses à la télé et sur le net, que ce soient des séries, des films, des documentaires ou des émission humoristiques du genre 26 minutes ou Les Orties - car les jeunes humoristes suisses sont aussi soutenus par le service public. Tout cela participe à la construction d'une identité nationale, de notre softpower et surtout met à disposition des jeunes artistes suisses une vitrine exceptionnelle. A nouveau, les chaînes étrangères n'ont aucune raison de partager cette façon de voir les choses concernant les artistes suisses et les chaînes privées, en quête de profit, auraient intérêt à miser directement sur des grosses productions hollywoodiennes, par exemple, qui assurent l'audimat.

Je terminerai en affirmant qu'accepter « No Billag » c'est aussi nier le principe de solidarité entre Suisses qui est le fondement-même de notre nation. La redevance est en effet redistribuée entre les régions linguistiques, la majorité permettant aux minorités d'avoir un service public de qualité. Cette façon de faire est typiquement suisse – chaque région linguistique finance sa TV en Belgique par exemple - et nous devons en être fiers.

Le 4 mars, je vous invite donc à voter NON à cette initiative extrémiste.

Baptiste Fellay

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