THÉÂTRE Mercredi 8 avril 2009
La vie rêvée d’un homme
Marie-Pierre Genecand
Critique de «C’est ainsi mon amour que j’appris ma blessure», monologue de Fabrice Melquiot mis en scène par le jeune Valaisan Mathieu Bessero
Dans les aéroports, il n’y a pas que des voyageurs qui attendent leur départ avec excitation et anxiété. Il y a aussi des individus sans amarres, dérivant en quête d’une femme à aimer ou d’un homme à qui pirater une identité. C’est ainsi mon amour que j’appris ma blessure, monologue de Fabrice Melquiot qui prête une parole à l’un de ces faussaires qui se fixe sur deux passagers et leur invente une vie à deux, une éternelle amitié… Et Mathieu Bessero, jeune metteur en scène valaisan, lui donne un visage. En fait un masque. Porté par le comédien Vincent Rime, dont le jeu naïf, presque maladroit, renforce l’humanité de cet être qui reste à quai.
«En te voyant j’ai pensé à une pie parce que tu me volais ces petits bouts de chair et tu transformais les regrets à venir en secondes dorées. Tu as nettoyé mon squelette en une seconde.» A la fois imagée et directe, la langue du Français Fabrice Melquiot plaît aussi bien aux adultes qu’aux enfants. Elle voyage en solitaire souvent, dans des monologues inventifs, faussement naïfs, poignants.
Ici, un fantôme d’aéroport. Qui, le samedi, erre dans le terminal de Madrid, après avoir hanté, le reste de la semaine, les places et les parcs publics de la capitale espagnole. Barajas, le samedi, Le Retiro le dimanche, le lundi à Chuecas, etc. Un rituel bien rodé pour un rôdeur au grand cœur. Car tous ses élans sont bienveillants. A l’aéroport, une fille à frange «qui fait pousser les hommes et les loups dans les garçons» s’assied sur le banc sans le faire grincer, et l’âme de ce voyageur immobile chavire. Plus tard, une valise rouge et son contenu – des lettres, des cailloux –, deviendront sa vie pour quelques instants volés.
Cette parole délicate, sincère, appelle un traitement démuni, osant la simplicité. Exactement ce que Mathieu Bessero demande à Vincent Rime. Et pourtant, en allant à la Maison de quartier de la Jonction, à Genève où ce spectacle se donnait avant Sion, on avait des craintes. On savait le comédien masqué et cet artifice ne semblait pas convenir à la parole sans fard de Melquiot. Faux.
La drôle de cagoule en tissu métallisé avec cheveux, barbe et sourcils de Gilles Brot, masque qui dégage le nez, la bouche, les yeux et les oreilles, rend le personnage immédiatement sympathique – à l’inverse de ces masques neutres qui glacent le sang. Mais cette deuxième peau permet aussi à la situation de conserver son étrangeté. Cet individu perdu, on le reconnaît sans le connaître. Il flotte en chacun de nous, entre un terminal de pacotille et un avion en papier.
C’est ainsi mon amour…,
du 23 avril au 3 mai,
au Petithéâtre, Sion,
loc. 027-321 23 41, 1h
le 16 mai
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