8 juillet 2022

Roe VS Wade enterré, les libertés des femmes entravées

Cela fait maintenant deux semaines que la cour suprême américaine a suspendu sa jurisprudence Roe VS Wade, permettant aux femmes américaines d’avorter dans tous les Etats des Etats Unis. La décision est historique : en effet, depuis 50 ans, c’est la première puissance occidentale qui revient en arrière sur les droits des femmes si chèrement acquis par les mouvements féministes successifs. 
C’est donc une douche froide, ainsi qu’une certaine forme de désillusion qui frappent des femmes et des hommes qui pensaient ces droits, et précisément celui de l’avortement acquis. Sans tomber dans le cliché de la lecture a posteriori des événements, nous avions déjà été mis en garde, il y a plusieurs décennies par Simone de Beauvoir : « N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. » Ces mots résonnent étrangement, alors même que se réalise cette crainte énoncée. Aux Etats-Unis, il ne sera donc pas permis, dans pratiquement la moitié des Etats d’avorter en cas de viol, en cas de risque de santé pour la mère, voire même en cas de grossesse extra-utérine, par définition non viable. Le Texas possède déjà une loi encourageant la population à dénoncer les femmes qu’on soupçonne d’avoir avorté. Un récent article de la RTS révélait qu’une recherche Google pour un planning familial pouvait incriminer une femme soupçonnée. Les chauffeurs de taxi peuvent même être poursuivis pour avoir amené une femme devant une clinique pratiquant les avortements.

 
Ça vous semble irréel ? Et pourtant çela fait partie d’un programme très clair. Remettre en cause le droit à l’avortement, et par conséquent le droit des femmes de disposer de leur corps, c’est avant tout s’arroger le contrôle du corps des femmes, mais aussi de leur sexualité. Et par ce biais, c’est le corps social en général qui est surveillé, régi par des règles bien précises que nos sociétés libérales pensaient avoir acquis pour ses concitoyens. Des groupes religieux conservateurs, libres de leur culte et de ne pas avorter, imposent désormais leur vision et leur croyance à toute une partie de la population qui ne leur avait rien demandé, ni exigé, ni refusé en termes de droit.

 
Cependant, si après les politiques agressives internationales des USA on s’interrogeait sur leur légitimité à nous servir, à nous Suisses, d’exemple, on peut être tout à fait convaincu qu’il ne faut pas trop s’en inspirer. Depuis 2002, les Suissesses peuvent avorter jusqu’à 12 semaines après les dernières règles. En comparaison européenne, l’avortement a été légalisée en Suisse très tardivement, mais clairement plébiscité par le peuple. Une première offensive des milieux conservateurs a échoué très nettement en 2014 avec l’initiative pour supprimer le remboursement de l’avortement par les caisses maladies. Mais ces milieux ne se sont pas arrêtés là et reviennent à la charge en ce moment même avec deux initiatives : une imposant une nuit de « réflexion » supplémentaire à la femme désirant avorté et une deuxième empêchant les avortements tardifs après 22 semaines en raison d’un risque pour la santé de la mère ou d’handicap lourd pour le foetus.
Si ces deux initiatives ne s’attaquent pas frontalement au droit à l’avortement, elles contribuent en effet à présenter la femme avortant comme égoïste. Le fait qu’elle envisage de le faire pour sa propre santé après 22 semaines est considérée pratiquement comme criminel par ses milieux. Ils proposent alors d’imposer un accouchement prématuré, avec des risques considérables pour la mère. La question de la nuit de réflexion présuppose aussi une infantilisation des femmes qui avorteraient sans jamais être sûres réellement de ce qu’elles font. Très problématiques, ces deux initiatives dépossèdent complètement les femmes de leur libre arbitre en les mettant sous une forme d’obligation de réflexion ou d’accouchement. Si ces initiatives semblent collecter des signatures facilement, elles posent la question de ce qui viendra ensuite. En effet, si la population se prononçait sur ces sujets et en venaient à les accepter – ce que nous n’espérons pas –, la prochaine étape est clairement identifiée : interdire l’IVG en Suisse.

Nous n’en sommes pas encore là évidemment mais les initiatives sont multiples pour empêcher les femmes d’avorter librement et selon leur droit. Des sites internet de désinformation apparaissent dans les premiers liens sur Internet lors d’une recherche sur l’avortement, des initiatives visant à limiter le droit à l’avortement sont en route, des associations négocient des contrats d’assurance maladie pour des femmes ayant finalement refusé d’avorter.
L’IVG est autorisé en Suisse depuis 2002, mais il sera constamment attaqué et remis en question. A nous d’empêcher qu’on impose aux femmes des décisions qui relèvent de leur seule compétence : mon corps, mon choix.

Jasmine Lovey 

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