5 janvier 2016

Un audit à large échelle sur les constructions à Bagnes?


Après lecture du feuilleton sur Bagnes paru dans l’1dex, des différents articles du Nouvelliste et de l’interview d’Eloi Rossier sur Canal 9, une seule chose m’étonne : la passivité des décideurs. La volonté de ne surtout rien changer, de ne rien précipiter, à tel point que de mauvais esprits pourraient considérer qu’il s’agit d’un aveu d’incompétence ou d’un aveu de complicité. Mais en somme, que sait-on (au juste) du feuilleton bagnard aujourd’hui et sur quoi donc les autorités pourraient-elles agir ?

Premièrement, le règlement de construction communal, daté de décembre 1999 et homologué par le Conseil d’Etat en 2003, diverge du règlement cantonal des constructions. Si cela résulte a priori d’un problème de temporalité, il n’en demeure pas moins que les autorités communales ne se sont jusqu’ici guère pressées pour rectifier le tir. À ce titre, rien n’indique que ce soit le cas à l’avenir, comme le souligne Eloi Rossier président de l’exécutif bagnard :
Interview de Canal 9 du 11.12.15
Journaliste : Est-ce que le règlement des constructions de la commune va changer alors qu’il n’est pas conforme avec la loi cantonale ?
Eloi Rossier : Il est trop tôt pour le dire. Je confirme ce que votre reportage a mentionné tout à l’heure. Le règlement de la commune de Bagnes a été en son temps validé par le Conseil d’Etat. Et c’est vrai que la commune de Bagnes, il y a déjà fort longtemps, lorsqu’il s’était agi de relancer le domaine de la construction a voulu appliquer son règlement qui est un petit peu plus généreux que la loi cantonale sur la problématique des locaux qui ne sont pas compris dans la densité constructible.

Sur ce point, les autorités bagnardes pourraient donc agir sans attendre afin de se mettre en conformité avec le règlement cantonal existant plutôt que de jouer la montre. L’exemple de Bagnes devrait également conduire le canton à mener une enquête afin de savoir si d’autres communes permettent un régime d’exception en appliquant un règlement communal dépassé n’intégrant pas le règlement cantonal. À ce titre, force est de constater que le Bureau du Grand Conseil vient de délivrer un très mauvais signal en refusant de traiter une interpellation urgente du député vert Christophe Clivaz. Comme à leur habitude, certaines de nos autorités préfèrent entretenir l’image d’un canton rétrograde, incapable de se remettre en question, emmêlé dans « les affaires » et où les liens entre tissus économique et politique se confondent allègrement. Dommage pour le citoyen valaisan qui mérite mieux de la part de ses élus…

Deuxièmement, Le Nouvelliste a révélé le 21 août dernier que la commune de Bagnes avait mandaté deux experts en vue d’étudier une douzaine de cas non conformes.
Dans plusieurs cas, les travaux exécutés varient de ceux autorisés et ce sans mise à l’enquête, la régularisation n’intervenant qu’une fois les modifications faites. D’autres relèvent de l’agrandissement sans autorisation de résidences secondaires, ce qui est contraire à la Lex Weber.

Revenant sur le feuilleton bagnard, le Nouvelliste parlait le 11.12.15, d’un rapport accablant:
Sur la douzaine de cas analysés, près de 90% contreviennent soit à la loi cantonale sur les constructions (5 infractions), soit à la Lex Koller (4 infractions), soit à la Lex Weber (5 infractions)

Il convient toutefois ici de préciser que les cas étudiés ne peuvent être représentatifs de l’ensemble des constructions réalisées sur la commune dont le citoyen lambda ne sait à peu près rien… En effet, André Guinnard dans un de ses commentaires sur l’1dex (Quelle loi respecte Bagnes? (21) 19.12.15) évoque près de 350 dossiers à traiter par an. Compte tenu du peu de dossiers étudiés et de l’importance des cas non conformes, il appartient désormais aux autorités bagnardes de conduire une étude à plus large échelle sur la construction à Bagnes afin d’identifier si d’autres irrégularités existent et de déterminer : 


  • Combien de dossiers sont jugés conformes et non conformes par année et si cela correspond à ce qui est observé dans d’autres communes (à proportion égale)?
  • Quelles sanctions sont apportées lors de cas non conformes avérés ?
  • Les cas non conformes sont-ils systématiquement soumis à l’amende et, si oui, dans quelle proportion et pour quels montants annuels ?
  • Des remises en état ont-elles été demandées lors de cas non conformes et, si oui, pour quelle gravité d’infraction et pour combien de cas lors de ces dix dernières années ?


De même, les autorités qui ont mis en avant le peu de ressources dont bénéficie le service des constructions doivent aujourd’hui réaliser un état des lieux dudit service afin de déterminer:

  • Quel retard lié à l’octroi des permis et le contrôle des constructions a généré le manque de personnel ?
  • Dans quel délai ce retard sera comblé ?
  • Quelles mesures proposées par les experts peuvent être d'ores et déjà mises en place afin d’améliorer le fonctionnement du service des constructions ?


Troisièmement, l’1dex et le Nouvelliste évoquent tous deux le fait qu’il existerait des différences entre les plans initiaux et les travaux exécutés. À ce titre, Pascal Varone, président de la commission des constructions, est très clair :
Juridiquement il n’y a pas de zone grise. Des constructions qui ne correspondent pas aux plans approuvés lors de la mise à l’enquête publique sont illégales. 
(Le Nouvelliste, le 22.08.15 )

À mon sens, il appartient aujourd’hui aux autorités bagnardes de s’interroger sur l’existence des moyens mis à la disposition de la police des constructions et de palier les éventuels manques qu’elles pourraient constater.

  • Les contrôles sont-ils suffisamment nombreux ?
  • La police des constructions bénéficie-t-elle d’une ligne clairement définie lorsque des abus sont constatés ?
  • L’arsenal de mesures à disposition permet-il d’apprécier chaque situation en fonction de sa gravité ?
  • Les sanctions sont-elles suffisamment dissuasives ?


Quatrièmement, l’1dex dans son feuilleton bagnard mentionne le fait que la loi sur l’énergie de 2004 octroie, en cas d’obtention du standard Minergie, un bonus de 15% sur l’indice d’utilisation du sol fixé par le règlement communal des zones et des constructions. Or, le standard Minergie se base sur les normes de la société des ingénieurs et architectes (SIA 380/1 pour le chauffage et SIA 416/1 pour le calcul des surfaces habitables). Et ces normes ne sont pas compatibles avec le règlement communal des constructions qui prévoit dans son article 90 que les spas ne font pas partie des surfaces habitables…


Loi sur l’énergie de 2004 « Art. 20 Standards de qualité dans le domaine du bâtiment 
1. Pour encourager la construction de bâtiments répondant à des critères de qualité déterminée, en particulier au standard Minergie, il est octroyé les incitations suivantes : 
1.a) un bonus de 15 pour cent sur l’indice d’utilisation du sol fixé par le règlement communal des zones et des constructions, sous réserve de ne pas dépasser une augmentation maximale d’indice de 0.15

Il convient aujourd’hui de se questionner aux différents échelons de l’Etat sur les contrôles réalisés lors de l’obtention du label Minergie et sur les possibilités d’abus que permet aujourd’hui la loi sur l’énergie.

En conclusion, il est urgent que les autorités prennent aujourd’hui au sérieux le cas bagnard afin de tirer les leçons des dysfonctionnements existants et de mener une analyse approfondie des procédures actuelles en matière de construction et du bâti existant. Les autorités de la commune la plus riche du canton ont les moyens et le devoir de le faire, ne serait-ce que par souci de transparence et afin de mettre un terme aux rumeurs de complicité.

Cet état des lieux à large échelle doit s’accompagner d’une communication franche et transparente à l’attention des citoyens et du milieu de la construction. À ce titre, la commune pourrait commencer par faire preuve de bonne volonté et rendre publique le rapport intermédiaire des experts.

Si tel n’est pas le cas, je presse nos élus, les promoteurs et autres acteurs de la construction à ne plus s’étonner du dépôt d’initiatives toujours plus restrictives, motivées par des années d’une politique des constructions laxiste et limitée à une vision à court terme, que le peuple suisse ne manquera pas de continuer à soutenir lors de prochaines votations.


Pierre Troillet
Entremont Autrement

5 commentaires:

  1. un qui vous soutiendra, si ...jeudi, 07 janvier, 2016

    Bravo monsieur Troillet pour votre article.
    C'est très bien développé et je trouve les questions très pertinentes.
    Mais auront-elles réponses ?
    Si les conseillers en place sont de véritables représentants du peuple,
    alors il devrait apporter des réponses à vos questions.
    Mais la transparence est-ce une qualité du politique de par chez nous ?

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  2. Pourquoi le rapport des experts n'est-il pas rendu public ?

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  3. Je pense que les autorités communales attendent le rapport final que peut-être elles rendront publiques. Mais rien n'est sûr en l'état...
    Il en va de même quant à la possibilité qu'ils soient réactifs (faute d'être proactifs)par rapport à cet article.

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  4. Le rapport devra être rendu public, selon un autre article publié par Florian Alter (avis de droit de Me Sébastien Fanti)...

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  5. @ Alexandre En effet, depuis nous avons creusé la question. :-)
    Aux autorités maintenant de se positionner !

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